Un port en eaux profondes à Sept-Îles pour éviter de creuser le Saint-Laurent

Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, publié le 31 août 2004

Plutôt que d’agrandir la Voie maritime et creuser, à terme, le Saint-Laurent pour accueillir les plus grands navires porte-conteneurs à la taille croissante, il faut créer à Sept-Îles un port en eaux profondes de calibre international où les conteneurs seraient transbordés dans de plus petits navires capables d’atteindre tous les ports du centre de l’Amérique via les Grands Lacs.

Cette proposition novatrice en faveur d’un trafic intermodal vient d’être formulée par quatre chercheurs de la région de Sept-Îles devant la Société de développement économique du Saint-Laurent (SODES), à qui le Canada et le US Army Corps. des États-Unis ont confié la consultation en cours au Québec sur la modernisation éventuelle de la Voie maritime. Les représentants canadiens et américains ont prolongé jusqu’au 1er septembre la période pour le dépôt des mémoires, ce qui explique celui des quatre chercheurs de Sept-Îles, Luc Gagnon, Normand McDonald, Patrick Lauzière et Marc Otis, spécialisés en gestion de projet. Leur mémoire se base sur une étude de faisabilité réalisée conjointement en 2003 à l’occasion de leurs travaux de maîtrise.

Leur projet de port de transbordement en eau profonde à Sept-Îles, baptisé Projet Ithaque, table sur le fait que déjà présentement, 31 % de toutes les marchandises transportées sur les mers du globe sont transbordés dans de plus petits navires au lieu d’aller directement au train ou aux camions de livraison. En Europe, on pousse notamment de plus en plus dans cette direction. La raison est simple, explique Luc Gagnon: les chemins d’eaux sont les plus économiques de tous les moyens de transport et, sur le plan environnemental, les petits navires déclenchent moins d’érosion sur les fleuves et émettent moins de gaz à effet de serre que le transport par camion par tonne de marchandise.

Il en coûterait plus de 10 milliards — les études du US Army Corps parlent de 20 milliards dans certains scénarios — pour refaire la Voie maritime actuelle et l’adapter aux navires géants, ce qui exigerait à terme un nouveau creusage du Saint-Laurent. À noter que l’élargissement de la Voie actuelle n’entre pas dans les scénarios présentement à l’étude par le Canada et les États-Unis: on parle de moderniser le système sans modifier son gabarit. En comparaison, la construction d’un chemin de fer entre Chicoutimi et Sept-Îles, coûterait un peu plus de deux milliards. Mais, précise Luc Gagnon, un port de transbordement à Sept-Îles coûterait seulement 300 millions parce que les accès à la baie de Sept-Îles, un havre naturel, ont plus de 50 mètres de profondeur!

Selon le mémoire des quatre chercheurs, le transbordement serait déjà rentable avec les plus gros porte-conteneurs existants qui ne doivent pas naviguer au ralenti sur des fleuves étroits pour être rentables: un de ces navires géants «post-panamax», transportant 6000 conteneurs evp (équivalents de 20 pieds), qui s’arrêterait à Sept-Îles pour transborder son chargement sur des «laquiers» (bateaux spécialisés dans le transport sur les Grands Lacs) de 600 evp, ne coûterait pas plus cher à un armateur que d’affréter quatre gros navires chargés de 1500 conteneurs. En raison des économies environnementales, notamment la réduction de l’érosion fluviale, et de l’absence de changements au gabarit de la Voie maritime, la formule à long terme est gagnante, explique Luc Gagnon, parce que les navires vont constamment grossir et éviter les ports de Montréal et Québec. La concurrence qu’un port de transbordement à Sept-Îles ferait à New York et Halifax pourrait même à long terme devenir une planche de salut pour Montréal et Québec en raison de l’intensification du trafic fluvial de moyen tonnage et le possible retour du cabotage sur le Saint-Laurent et ses grands affluents.

Présentement, indique le mémoire, les ingénieurs planchent sur des post-panamax de 10 000 à 12 000 evp, ce que le Saint-Laurent ne peut pas prendre sans un cataclysme environnemental qui achèverait de l’artificialiser par un creusage excessif. Il vaut mieux, affirment les quatre chercheurs, envisager des solutions comme le transbordement pour desservir de Sept-Îles, où le besoin de creuser est à peu près nul, les grands centres comme Chicago et jusqu’au Manitoba par le lac Supérieur, un scénario d’autant plus plausible et viable que les coûts de l’énergie vont croissant.

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