Les trois clips audio qui suivent font entendre le maire de Québec Régis Labeaume. Les clips démontrent le changement spectaculaire de sa pensée par rapport au développement du littoral de sa ville et de la place souhaitable que le port devrait y avoir. Bien que le maire s’exprime à chaque fois dans le contexte de l’érection des deux silos d’entreposage de granules de bois à l’Anse-au-Foulon, les idées qu’il exprime touchent des enjeux beaucoup plus larges que celui des silos. Chaque clip est suivi du verbatim correspondant.
2013-11-18, séance du Conseil municipal de la Ville de Québec: « Libérons le bord de l’eau! »
Madame la présidente, la tendance en urbanisme en Occident depuis des années, c’est de libérer le bord de l’eau. J’ai eu de longues discussions avec le maire de Chicago sur la difficulté qu’il a eue à le faire, mais il l’a fait. J’ai longuement discuté avec mon ami Alain Juppé qui a réussi à le faire à Bordeaux. Ça a été compliqué, mais il l’a fait. J’ai longuement discuté avec le maire de Toronto, mais je précise l’ancien maire de Toronto, sur ce qui a été fait à Toronto. J’ai longuement discuté avec le maire d’une ville où ça a été particulièrement compliqué, le maire de Milwaukee. Les maires de ces grandes villes-là ont libéré le bord de l’eau, ont convaincu les industries d’aller s’établir ailleurs, parce qu’un bord de l’eau libéré, ça décuple l’attraction d’une ville. Et toutes les villes actuellement en Occident qui ont un cours d’eau comme voisin tentent de le faire, et ce qu’on fait actuellement, et mes prédécesseurs l’ont fait, je parle de monsieur Lamontagne, je parle de monsieur Pelletier, et monsieur L’Allier a travaillé ensuite sur l’aménagement, ils ont réussi ces deux hommes-là, à libérer le bord de l’eau. Ce à quoi on assiste actuellement, c’est carrément un retour en arrière.
C’est un recul madame la présidente. C’est sûrement pas le maire de Québec actuel qui est contre le développement économique de cette ville-ci. Je pense que je ne suis pas reconnu comme ça. Je voudrais juste préciser que quand même, on parle d’entrepôt, là. On ne parle pas de laboratoires, d’innovations technologiques, on parle de deux entrepôts. L’industrie de la granule de bois a un bel avenir, je pense, mais tout ce qu’on fait ici, c’est de l’entreposer, de la sortir puis de l’entrer dans l’entrepôt. Je voudrais juste qu’on ne se trompe pas sur la valeur du projet. Mais on pense quand même que c’est dans le rôle du Port, de tous les ports, de transborder, et que c’est normal.
Pourquoi on risque un tel projet dans une ville du patrimoine mondial de l’UNESCO? Pourquoi on prend un risque dans une ville patrimoniale, culturelle et touristique comme la nôtre? Comment se fait-il que des citoyens corporatifs n’aient pas compris que des interventions dans une ville comme la nôtre, ça doit être fait avec délicatesse? Y ont-ils seulement pensé, parce que c’est ça la question qu’on doit poser ce soir, est-ce que sérieusement ils y ont pensé, pensé à part de leur propres intérêts? Malheureusement, je suis obligé de dire ce soir que je ne suis pas convaincu. Le Port y a probablement plus réfléchi qu’Arrimage Québec.
Je veux aussi dire ce soir que je me dissocie totalement de certains groupes qui sont contre le projet, mais qui à terme souhaitent la disparition du port de Québec, parce que ce qui est latent et ce qui est non dit, de la part de certains groupes, c’est qu’ils souhaitent la disparition du port. Ce n’est pas notre cas.
Je veux dire aussi que même si c’est un terrain fédéral, moi, dernièrement, j’ai payé des impôts au fédéral et je considère que ça demeure une propriété publique, et ce n’est pas la propriété d’une entreprise, je voudrais qu’on le précise. Ça nous appartient quelque-part. C’est une administration déléguée, mais ça appartient au public canadien. Ce n’est pas une propriété privée.
Si on nous avait parlé de la bonne façon et au bon moment, on aurait posé la question suivante : parce qu’il y a de la place sur le port, parce qu’il y a de la place à côté de l’entrepôt, du silo qui est monté, il y a de la place pour en faire trois de 30 m au lieu d’en faire deux de 45 m. Il y a de la place pour en faire quatre de 20-25 m au lieu d’en faire deux de 45 m. Pourquoi ça n’a pas été réfléchi? C’est ce qu’on aurait répondu à la Ville de Québec, si on nous avait posé la question au bon moment. Ha! c’est sûr que l’opérateur nous aurait dit que ça coûte plus cher, mais ça, c’est toujours la même chose, c’est toujours la même réponse, ça ne m’inquiète même pas, ils vont réussir à faire de l’argent, j’en ai fait dans ma vie et j’en suis très heureux, puis bravo pour eux-autres. Sauf qu’on vit en communauté.
L’autre problème que j’ai quand je regarde notre territoire, le voisinage de ce silo-là, c’est qu’il y a de la place pour d’autres silos, madame la présidente. Malheureusement, il y a de la place pour d’autres silos de 45 m, madame la présidente. La question, moi je pense personnellement que l’industrie du granule du bois a de l’avenir. Je comptais à mes collègues qu’il y a cinq ans je suis allé en Autriche voir des systèmes de chauffage urbains aux granules de bois, ça a de l’avenir, et tant mieux pour l’industrie forestière québécoise. Ceci dit, ça aurait pu être transbordé ailleurs que dans la ville patrimoniale. Me semble que ça aurait été plus simple. Mais là la question, moi je pense que ça a de l’avenir cette industrie-là, est-ce que ça veut dire qu’on aura besoin d’autres silos tantôt? Ça va arrêter quand et comment? C’est là que ça m’inquiète moi, c’est là que ça nous inquiète. Au pire, s’il y en avait deux, on pourrait tenter de faire avec, mais je ne suis pas sûr que ça va finir à deux. Va-t-on avoir un mur de silos de 45 m? Qui est capable de me garantir aujourd’hui, de nous garantir ici, que ça va arrêter à deux? Je vous jure que personne va oser nous garantir ça. Et si on n’a pas cette garantie-là, on s’en va où? Ça finit quand et ça finit où? C’est ça le problème qui s’en vient, là.
Moi, à la limite, s’il y en avait deux, regardez là, mon rôle c’est d’être maire, c’est de tenter de temporiser les extrêmes et de trouver des solutions. Je vais trouver un artiste pour en faire des œuvres d’art. Mais là, rendu à cinq ou six, les œuvres d’art, il y a des limites là, comprenez-vous? À la limite, on est capables de faire ça avec ces deux silos-là. Mais je suis inquiet et permettez-moi d’avoir un doute préventif, c’est assez invasif comme intervention de la part d’Arrimage Québec.
Alors les questions que je poserai aux gens qui viendront me rencontrer cette semaine, c’est ça va finir quand? Est-ce que ça finit à deux? Il y en a combien d’autres silos à 45 m qui s’en viennent si l’industrie est prospère? Les consultations publiques sur l’utilisation des sols vont-elles être sérieuses? Est-ce qu’à la limite on ne pourrait pas faire ça, et je reprends la proposition du chef de l’opposition, en faire comme un espèce de PPU pour le port? Alors permettez-moi d’être extrêmement inquiet. Je vais poser toutes ces questions-là aux autorités du Port et au prochain Conseil, ça me fera plaisir de vous faire rapport sur tout ça. Mais je pense que ce sur quoi on doit se pencher, c’est pas sur les deux qui sont là, c’est les autres qui pourraient arriver. Merci.
2013-12-02, séance du Conseil municipal de la Ville de Québec: le maire fait un aveu d’impuissance.
Madame la présidente, ça ne nous fait pas plaisir, ce qui s’est passé là. Je pense qu’on l’a dit assez, je ne veux pas recommencer, là. Les échanges ont été plutôt virulents et costauds avec la direction du Port de Québec. Alors on peut bien revenir sur le dossier, sur le projet, mais ça va nous avancer à quoi? On peut bien vouloir voir le silo disparaitre, ça va nous avancer à quoi? On peut bien vouloir arrêter la construction de l’autre, ça va nous avancer à quoi? Ça ne se fera pas.
On a décidé de faire du judo avec le problème, madame la présidente. De prendre le problème puis à essayer de le virer à notre avantage. On a des discussions avec le Port de Québec, qui je pense a appris de la situation et de la polémique, et n’a pas le gout d’en vivre une autre comme celle-là, sincèrement. Les silos, le Port de Québec va annoncer bientôt qu’il y a un comité qui va recevoir des propositions, et la Ville de Québec sera impliquée, pour se demander quelle est la façon la plus éclatée, la plus artistique, de transformer ces silos-là. Et à la limite, laissons-nous rêver, parce qu’il ne nous reste plus rien que ça à faire avec ces silos-là, est-ce qu’on peut tourner la situation à notre avantage? Alors, ce sera annoncé bientôt, et l’administration portuaire nous a garanti que pour tout projet d’expansion du secteur Beauport, le projet du bassin Louise, ainsi que tout le projet de ce qu’ils appellent eux-autres la promenade Samuel-de-Champlain 3B, c’est-à-dire toute la portion du port à partir de la côte Gilmour, ils allaient consulter la population.
Alors nous, on a pris la décision, après s’être beaucoup fachés, hein, et je l’ai fait personnellement, après avoir étendu amplement mes états d’âme, c’est ça qui est ça. On peut se péter la tête après les murs, mais on ne changera pas ça demain matin. À partir de là, moi, comme maire de Québec, nous comme dirigeants de la Ville, on a décidé de prendre ça autrement, puis à essayer de virer ça à notre avantage en souhaitant et en acceptant les garanties du Port de Québec, qu’il y aurait des consultations pour les autres projets. Alors, je ne peux pas le garantir personnellement, on me l’a garanti, le Port va faire des annonces à ce propos-là.
Mais voilà, on peut bien travailler sur le passé, mais ils sont là, et il n’y a personne qui va enlever ce silo-là, et il n’y a personne qui va empêcher la construction de l’autre. Alors ce qu’on va faire ici c’est des vœux pieux, nous autres on a décidé qu’on regardait vers l’avenir et qu’on faisait du judo avec le problème.
2014-09-22, inauguration des silos d’entreposage de granules de bois à l’Anse-au-Foulon: le maire fait la promotion du transbordement maritime de vrac sur les berges de sa ville.
Il s’est dit beaucoup de choses et j’en suis probablement le premier coupable. Je pense que la compagnie [Compagnie d’arrimage de Québec], le Port et la Ville ont beaucoup appris dans cet épisode-là. Ces silos-là, c’est une industrie qui est tout à fait proche d’exploser [sic]. Il faut l’encourager. La Ville de Québec va appuyer totalement le Port de Québec dans ses projets d’agrandissement du port. Je lui ai dit [au pdg du Port Mario Girard], c’est clair, nous ne reviendrons pas là-dessus. J’ai confiance au Port de Québec, je me fais confiance à moi aussi pour l’expliquer à la population. Nous combattrons tout effort pour euh…, comment dire…, diminuer…, les gens qui voudraient diminuer la valeur du port, ou contrecarrer ses efforts de développement. Nous croyons sincèrement, sincèrement, à l’avenir de l’industrie maritime à Québec, et le maire de Québec et toute la ville de Québec sera derrière vous, comptez sur nous.
Non, je n’ai pas donné carte blanche au Port, mais euh…, il faut qu’on appuie l’industrie maritime et bon, il faut que ce soit fait dans les règles de l’art. Il faut, à tous égards, qu’on protège la population, mais il ne faut pas hésiter. […] Il y a des espoirs pour le financement du prolongement du port, et si ça se fait, j’ai l’impression, je ne sais pas pour quelles raisons [le maire fait un clin d’œil au journalistes], que ça serait peut-être dans les prochains mois.