Le Port de Québec en opération «Prince charmant»

Sébastien Tanguay à Québec

Le Devoir, 27 janvier 2023

Le Port de Québec aspire à devenir le gendre idéal de la capitale nationale. À l’horizon 2035, ce mal-aimé d’une partie de la communauté promet de se transformer en prince charmant, proche des gens et soucieux de l’environnement. Écoblanchiment ou réel vent de changement ? Analyse avec deux experts qui perçoivent des voyants verts et quelques bémols dans les efforts du Port.

L’administration portuaire présentait, vendredi matin, sa « Vision 2035 », un énoncé de principes devant orienter le Port sur le chemin de l’avenir. Son p.-d.g., Mario Girard, exposait la transformation à venir sur une scène sans lutrin, flanqué de plantes de plastique et de diapositives montrant des paysages d’eau bleue, de verdure et de familles souriantes.

Derrière les ficelles un peu grossières de cet effort de relations publiques se cachait une vision plutôt bien ficelée, selon deux experts en acceptabilité sociale consultés par Le Devoir.

Le Port décline sa vision en quatre piliers. D’abord, faire preuve d’un engagement exemplaire envers la collectivité, en consultant davantage la population, en finançant les initiatives citoyennes et en offrant des accès plus nombreux et de meilleure qualité au Saint-Laurent. Le p.-d.g. veut même tendre l’oreille aux millénariaux et à la génération Z en en invitant des représentants à siéger à la table d’un comité permanent.

L’administration portuaire promet ensuite de verdir son bilan en électrifiant ses quais, en protégeant la biodiversité et en réduisant la pollution atmosphérique. Elle s’engage à mettre en place un plan de décarbonation et d’en diffuser chaque année l’évolution dans un tableau de bord que tout un chacun pourra consulter.

Le Port veut aussi devenir un pôle de rayonnement international pour le savoir-faire maritime québécois et un « employeur de choix » pour sa main-d’oeuvre.

« Un port, c’est plus qu’un outil de développement économique, a souligné Mario Girard. Ne l’oublions jamais, un port, c’est surtout un actif collectif. »

Un blason à dorer

La communauté ne l’a pas toujours vu de cet oeil. L’histoire récente enseigne que la collectivité a plutôt perçu le port comme un générateur de pollution et de mauvaise qualité de l’air dans la basse-ville de Québec. Une mobilisation citoyenne a même contribué à couler Laurentia, le quai en eau profonde qui devait mettre la capitale sur la mappemonde maritime.

« C’est devenu un impératif, pour les politiques publiques autant que pour les projets qui ont une incidence sur leur milieu, d’avoir l’assentiment de la communauté, analyse Corinne Gendron, titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il y a de plus en plus de projets qui ne voient jamais le jour en raison de l’opposition populaire. »

« Les attentes de la société sont de plus en plus élevées, note pour sa part Yves Plourde, professeur au Département de management de HEC Montréal. La valeur qu’une entreprise apporte ne doit plus seulement être économique, mais aussi, et surtout, collective. »

Le Port de Québec semble en avoir pris bonne note. Dans sa présentation, l’administration a énuméré ses priorités : la communauté, l’environnement puis, en queue de peloton, l’économie. « Ce libellé et son ordonnancement ne sont pas le fruit du hasard, ajoutait Mario Girard. Le monde change et le Port change aussi. Les intérêts citoyens deviennent une licence pour autoriser les projets — et c’est tant mieux. »

L’administration portuaire, en présentant les valeurs qui doivent animer son avenir, fait un exercice de transparence louable, de l’avis d’Yves Plourde. « Le côté positif de ça, c’est que l’organisation énonce publiquement ses engagements et, déjà, ça ouvre la porte à l’imputabilité. La communauté et les médias savent, désormais, sur quelle base juger son action. »

Corinne Gendron abonde dans ce sens. « Peu importe si une entreprise lance seulement de belles phrases pour bien paraître aux yeux du public. Une fois qu’une haute direction se prononce, ça fait partie de son image à elle, ça se trouve dans les questions qui lui sont posées et ça compte dans son rapport annuel. »

« Après, poursuit la professeure de l’UQAM, si une organisation dit en 2023 “nous allons faire des choses merveilleuses pour l’environnement” sans y donner suite cinq ans plus tard, il y aura tôt ou tard une reddition de comptes. »

Les deux spécialistes déplorent toutefois qu’aucun chiffre ni échéancier n’accompagnent la vision présentée par le Port. « Il faut que les actions suivent, souligne Yves Plourde. Sinon, ça reste seulement des paroles et il s’agit d’écoblanchiment. »

Quelques bémols

Une condition pour évaluer le sérieux d’une entreprise qui se dit préoccupée par l’environnement, note le professeur de HEC Montréal, c’est sa transparence. « Si le public n’a aucun accès aux données, ça ne rime à rien. » Sur cet aspect, il croit que la volonté du Port de Québec de permettre à tout un chacun de consulter le bilan de son effort de décarbonation et de mesurer celui-ci en vertu de standards internationaux reconnus mérite « une étoile ».

Il conclut cependant sur un bémol. Le Port, note-t-il, est d’abord et avant tout une infrastructure utilisée par d’autres. S’il devient exemplaire en tant qu’entreprise sans imposer ses propres standards aux armateurs et à ses utilisateurs, son effort deviendra un coup d’épée dans l’eau. Selon lui, une société qui s’engage dans la carboneutralité doit s’occuper de ses émissions de niveau 3, c’est-à-dire les émissions indirectes engendrées par sa présence.

« Le port a un cahier des charges qui encadre son utilisation, renchérit Corinne Gendron, de l’UQAM. Ce n’est pas “venez et faites ce que vous voulez”. Si ce cahier des charges n’impose aucune obligation par rapport aux engagements pris par le Port… Il rate sa propre cible. »

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