Sébastien Tanguay à Québec
Les habitants de Limoilou respirent un des airs les plus saturés en particules fines du Québec, confirme un rapport très attendu de 1213 pages réalisé par le Groupe de travail sur les contaminants atmosphériques (GTCA),un comité indépendant mis en place par le gouvernement. Le document montre également que la norme journalière de nickel fait encore l’objet de dépassements — « un risque inacceptable pour une partie de la population », soutient le rapport.
« Ce portrait montre que les concentrations moyennes annuelles de particules fines à la station [d’échantillonnage] Vieux-Limoilou sont parmi les plus élevées de la province », note le rapport. Au banc des accusés : le chauffage au bois, la construction et le transport routier, notamment.
Trois autoroutes encadrent Limoilou, un quartier autrefois populaire aujourd’hui fréquemment traversé par des camions lourds. C’est d’ailleurs précisément à proximité de ce secteur que le gouvernement caquiste compte faire émerger son troisième lien. « Le trafic dans le secteur à l’étude est une source appréciable [de pollution]. C’est un angle mort à considérer », mentionne le rapport. Le transport routier émet notamment du dioxyde d’azote, l’un des trois contaminants jugés « prioritaires » par le GTCA.
Selon Santé Canada, 24 % de la population de Québec demeure à moins de 100 m d’une route à circulation élevée et 9 % à moins de 50 m. L’agence fédérale a par ailleurs conclu en 2022 qu’il y avait un lien entre la pollution liée à la circulation automobile et plusieurs types de maladies et de cancers.
Poêles à bois et nickel
Le chauffage au bois représente aussi un facteur de contamination majeur dans le quartier. La Ville de Québec estime qu’il y a 25 000 poêles à bois sur son territoire et qu’entre 5000 et 8000 d’entre eux ne répondent pas aux normes. Ce nombre important, note le rapport, « fait en sorte que leurs émissions dépassent celles des industries ».
Les particules fines font elles aussi partie des contaminants jugés « prioritaires » par le groupe de travail. Les autorités canadiennes indiquent que même une courte exposition à ces particules augmente les risques de maladies cardiovasculaires et respiratoires. À Limoilou, estime le rapport, la facture associée à ces risques se chiffre à 300 millions de dollars.
Le troisième contaminant à surveiller, selon le rapport publié mardi, est un minerai : le nickel. C’est précisément dans la foulée de l’allégement de la norme de nickel dans l’air que le ministre de l’Environnement Benoit Charette avait mandaté le groupe de travail pour identifier les ingrédients de la « soupe » qui vicie l’atmosphère de Limoilou et, surtout, déterminer leur provenance.
De 2010 à 2019, « les moyennes de concentrations de nickel des autres villes canadiennes [variaient] de 1 à 3 ng/m3 », rappelle le rapport. Pendant ce temps, « la concentration moyenne dans le secteur Limoilou–Basse-Ville [était] beaucoup plus élevée, à environ 11,5 ng/m3 ».
Le rapport recommande également au Port de Québec de mieux protéger la manutention et le transbordement du nickel pour atténuer la présence de ce contaminant dans l’air de Limoilou.
Rappelant que la science demeure incertaine quant aux risques posés par le nickel sur la santé, le rapport observe que des dépassements récurrents de la norme journalière ont lieu depuis au moins 12 ans. Entre 2011 et 2021, le GTCA dénombre à la station Vieux-Limoilou 44 dépassements par rapport à la norme de 70 ng/m3 entrée en vigueur en avril 2022 (3,3 % des échantillons). Il en rapporte également 23 enregistrés entre 2015 et 2021 aux stations du Port de Québec. « C’est une situation inacceptable pour une partie de la population, souligne le GTCA. Il est pertinent de poursuivre les efforts d’atténuation visant à respecter les normes. »
« Nous allons prendre nos responsabilités »
Moins d’une demi-heure après la publication du rapport, la Ville de Québec présentait 40 actions en cours ou à venir pour améliorer la qualité de l’air de Limoilou. « Nous allons prendre nos responsabilités, nous ne nous défilerons pas », a souligné le maire de la capitale, Bruno Marchand. Il invite dans le même souffle la population et les industriels à agir en repensant entre autres leurs habitudes de chauffage, de consommation et de transport.
Il note au passage que le gouvernement caquiste devra désormais faire la démonstration que son tunnel ne dégradera pas davantage une atmosphère que son administration et la population cherchent à améliorer. « Si ça amplifie un problème que nous tentons de solutionner, nous allons avoir un enjeu », prévient le maire Marchand.
Le comité indépendant recommande notamment qu’il y ait accélération de la transition énergétique des commerces, des industries et des institutions pour atténuer la pollution de Limoilou. Il suggère également l’électrification des camions, des locomotives et des navires. Il incite aussi les autorités à favoriser la croissance de zones de verdissement urbaines, notamment le long des axes routiers.
Certaines recommandations ciblent directement le Port de Québec. Le rapport lui demande de mieux encadrer les opérations de chargement et de déchargement des navires, en plus de conseiller la tenue d’un audit indépendant des opérations de manutention de vrac solide tant dans les installations portuaires qu’industrielles de Limoilou.
Enfin, le rapport note la bonne gestion des matières résiduelles par Québec, avec la diminution de l’utilisation de l’incinérateur au profit de l’usine de biométhanisation flambant neuve. La capitale peut même ajouter une suggestion du rapport du GTCA dans l’arsenal promotionnel de son tramway : le comité préconise des « stratégies de mobilité durable axées sur les transports actifs et collectifs ».