Ce que l’étude sur la qualité de l’air ne dit pas

François Bourque, Le Soleil, 3 février 2023

CHRONIQUE / Des opérateurs privés ont refusé de transmettre des données provenant de stations de mesure dans le Port de Québec.

On parle de «beaucoup de données», estime le président du Groupe, de travail sur les contaminants atmosphériques, Jean-Pierre Charland.

Fort de 13 années d’expérience à gérer la qualité de l’air pour le fédéral, M. Charland sait reconnaître des stations de mesure.

Outre celles du Port de Québec (qui a collaboré à l’étude), il en a vu d’autres chez des opérateurs privés.

Il a fait la demande pour obtenir les données. On les lui a refusées.

Ces données auraient aidé à avoir un portrait plus complet, croit-il. Aidé aussi à clarifier peut-être la provenance de contaminants. «Par souci de transparence, ça aiderait».

Cela n’est pas anodin dans un contexte où on cherche toujours à identifier la provenance exacte des contaminants de la «soupe» de Limoilou et de la basse-ville.

Le groupe a choisi de ne pas en faire une recommandation précise. Il s’en est tenu à une invitation générale à la rigueur et à la transparence. Dommage.

Cela dit, l’étude sur la qualité de l’air dévoilée cette semaine a le mérite de rassembler toutes les informations disponibles et d’en tirer des recommandations.

Cela peut sembler la moindre des choses quand on exécute un mandat public. La réalité est cependant que les études passées n’ont pas toujours fait le lien entre la qualité de l’air et ce qui doit être corrigé.

Sous cet angle, les travaux du Groupe de travail sur les contaminants atmosphériques permettent d’avancer. Ce sera peut-être une «bougie d’allumage», espère M. Charland.

Le rapport confirme que les sources de pollution sont multiples dans l’air de Limoilou et en basse-ville : chauffage au bois, transport routier, autoroutes, gare de triage, activités portuaires, construction, incinérateur, White Birch et autres industries, etc.

Le rapport rappelle que la pollution provient de sources très locales, mais aussi d’ailleurs. D’autres quartiers de Québec et de plus loin.

Le corridor Québec-Windsor, qu’on associe le plus souvent aux trains à haute vitesse (ou pas), est aussi un corridor aérien. Des contaminants en provenance d’états américains comme l’Ohio, du bassin des Grands Lacs et de l’Ontario voyagent jusqu’à Québec, expose M. Charland.

Des citoyens et militants auraient souhaité un rapport plus mordant qui épingle les responsables de la pollution. Ils auraient voulu des recommandations plus audacieuses et plus directives pour les pouvoirs publics.

J’aurais aimé aussi.

En parcourant des chapitres de ce rapport, j’ai eu le même sentiment que devant un rapport de vérificateur général. On y reconnaît la rigueur et la minutie. Mais on sent la précaution, la prudence, la retenue. On donne la chance au coureur. Un peu trop parfois.

Est-ce pour ne pas brusquer les donneurs d’ouvrage? Ne pas aliéner les «partenaires» qui ont participé aux travaux? Est-ce une «stratégie» pour garder tout le monde autour de la table avec l’espoir d’arriver ainsi à de meilleurs résultats? Le calcul en vaut peut-être la peine.

Je vous laisse ici faire vos hypothèses.

Beaucoup d’informations utiles, donc. D’analyses inédites et de suggestions pertinentes dans ce rapport de 1200 pages livré cette semaine au ministre de l’Environnement Benoit Charette.

Le rapport du Groupe de travail ne dit cependant pas tout.

Voici trois autres choses que le rapport ne dit pas. Une courte liste qui n’a rien d’exhaustif.

1- J’aurais aimé lire les noms des «opérateurs» du Port de Québec qui cachent des informations et se fendent ensuite de communiqués de presse lénifiants pour dire qu’ils vont continuer à travailleur pour améliorer la qualité de l’air de Limoilou.

Glencore, pour ne pas la nommer, continue de dépasser impunément les normes du nickel qu’elle manipule dans le Port de Québec. Même depuis que la norme a été rehaussée, il y a encore des dépassements.

Tout le monde le sait, au ministère de l’Environnement comme chez les scientifiques qui s’intéressent à la qualité de l’air. Mais faute de données spécifiques, la preuve légale est difficile à faire et l’entreprise continue d’échapper aux sanctions.

La preuve des apparences est cependant contre Glencore. Lors d’un comité plénier, l’an dernier, à l’hôtel de ville de Québec, l’entreprise s’est dit victime d’une «chasse aux sorcières».

Elle y a soutenu que les transbordements de nickel se faisaient dans des «installations fermées depuis longtemps» et que celles-ci étaient étanches.

Confrontée à l’évidence, l’entreprise dit aujourd’hui «explorer les moyens technologiques à notre portée pour améliorer les procédures de gestion des émissions fugitives lors du chargement et déchargement des cales de navire».

Tant mieux, mais je n’ai pas lu encore qu’elle en prenait l’engagement. Et pourrait-on la croire?

2- Un boulevard urbain pollue moins qu’une autoroute.

Les voitures y roulent moins vite et il est plus facile d’y faire des plantations pour absorber les polluants atmosphériques. Cela est connu et le président du Groupe de travail, Jean-Pierre Charland, en convient.

Pourquoi ne pas l’avoir écrit ?

Pourquoi ne pas avoir recommandé la transformation de l’extrémité sud de Laurentien en boulevard urbain? Ou le prolongement de la Promenade Samuel de Champlain le long de Dufferin-Montmorency?

Pourquoi ne pas avoir suggéré un troisième lien réservé au transport en commun, plutôt qu’une sortie de tunnel autoroutier qui ajoutera au problème? Cela irait pourtant dans le sens indiqué par le rapport.

La question a été soulevée, mais le Groupe a choisi de ne pas proposer de réaménagement urbain, explique M. Charland. Il a préféré des recommandations «avec des échéanciers plausibles».

Tout est relatif. Le Groupe a fait d’autres suggestions qui demanderont aussi beaucoup de temps. Il a choisi de ne pas aller sur le terrain de l’aménagement. Ni sur celui de la politique.

M. Charland est conscient de la «récupération» de son rapport par des groupes qui souhaitent faire avancer des projets ou bloquer celui du troisième lien.

Il ne s’en offusque pas et n’a pas l’impression que cela dénature son rapport.

3- Le rapport ne le précise pas, mais plusieurs autres études sur la qualité de l’air de Limoilou sont attendues d’ici les prochains mois et la fin de l’année. (Institut national de la Santé publique, direction locale de la Santé publique, Ville de Québec, Université de Montréal).

On y trouvera de nouvelles données d’échantillonnage, plus précises et spécifiques que celles déjà connues.

On devrait en apprendre davantage sur la composition de la soupe de Limoilou. Et sur les parts de responsabilité des différentes sources de contamination.

Y trouvera-t-on les preuves qui manquent pour sanctionner des responsables ? C’est à voir.

Peut-être y trouvera-t-on aussi des données pour mieux orienter les grandes décisions publiques et les priorités dans les mesures d’atténuation.

«Le printemps sera chaud à Québec» prévoit Jean-Pierre Charland, qui semble bien au fait de ce qui s’en vient.

Ceux et celles que le rapport du Groupe de travail aurait laissés sur leur appétit y trouveront peut-être de quoi mordre davantage.

Souhaitons que ces rapports puissent avoir un atterrissage public plus digne que le gâchis de cette semaine orchestré par le cabinet du ministre de l’Environnement Benoit Charette.

Une divulgation presque confidentielle, à 19 h le soir, dans une salle d’hôtel de la haute-ville.

«Les journalistes peuvent assister à cette rencontre d’information, mais la prise de son et d’images ne sera pas permise», prévient le communiqué de presse du ministre.

Pour la transparence et le message sur l’importance de la qualité de l’air, on repassera. Le ministre aurait voulu cacher le rapport qu’il n’aurait pas fait autrement.

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