Isabelle Porter à Québec
On entend parler, depuis des années, de la contribution du port de Québec à la pollution de l’air dans le quartier Limoilou. Or, un rapport publié cette semaine pointe aussi du doigt les poêles à bois utilisés sur tout le territoire de la ville. Le Devoir a questionné le coordonnateur de l’étude, Jean-Pierre Charland, sur l’importance à donner à cette source de pollution souvent oubliée.
« À Québec, le nickel a beaucoup fait parler de lui. C’est important, mais on devrait parler aussi d’autres classes de polluants, dont les particules fines, parce que c’est très clair que ça a un impact sur la santé des gens », avance M. Charland, responsable de l’étude de plus de 1200 pages présentée mardi.
Les particules fines entrent dans la composition du smog. Lorsqu’inhalées, même à court terme, elles peuvent augmenter les risques de maladies cardiorespiratoires. Elles sont invisibles à l’oeil nu, et leur diamètre est près de trente fois plus petit que celui d’un cheveu. « Ces particules-là sont tellement petites que c’est facile de les transporter par le vent en longue distance », explique le chercheur. Même d’un pays à l’autre.
Si leur présence est en baisse dans Limoilou depuis dix ans, les concentrations y sont toujours supérieures à la moyenne québécoise. Et Québec est, après Windsor, l’une des régions urbaines canadiennes où on en mesure le plus, devant Montréal et Toronto.
D’où viennent-elles ? Principalement de l’ouest de la ville, via un « corridor » de vent qui les pousse jusque dans l’air ambiant de Limoilou, explique M. Charland. Pour documenter le phénomène, des chercheurs du ministère de l’Environnement ont comparé, l’été dernier, les concentrations passées en particules fines de trois lieux : Limoilou, le collège Saint-Charles-Garnier (en haute-ville) et l’école les Primevères (à Cap-Rouge), à 15 kilomètres de Limoilou.
« Si les vents viennent du sud-ouest, surtout en hiver, et qu’il y a des gens qui utilisent pas mal leur foyer dans le secteur de l’école des Primevères, par exemple, ça pousse la pollution dans Limoilou », poursuit-il.
Docteur en chimie, M. Charland est un gestionnaire à la retraite de la Division de la recherche sur la qualité de l’air à Environnement Canada. En mars 2022, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, l’avait mandaté pour « brosser un portrait » de la contamination de l’air dans Limoilou, dans la foulée de l’assouplissement de la norme sur le nickel par le gouvernement.
Un phénomène hivernal
Jean-Pierre Charland explique qu’à Québec, les particules fines contribuent à créer ce qu’on appelle le smog hivernal, phénomène qui survient lorsque les vents sont faibles.
En 2021, la Capitale-Nationale est la région à avoir vécu le plus grand nombre de journées de smog au Québec, soit 15. Si les chercheurs pensent que le chauffage au bois est en cause, c’est en raison des progrès faits par Montréal en la matière.
En 2009, la métropole a adopté un règlement bannissant l’installation de tout nouvel appareil à combustible solide, à l’exception des appareils à granules dotés d’une certification environnementale. D’autres restrictions ont suivi. Et en 2021, on recensait deux fois moins de jours de smog à Montréal qu’à Québec, et les chercheurs pensent que cela découle en bonne partie des nouvelles règles.
Québec s’est aussi engagé à sévir en la matière, mais sa réglementation n’entrera pas en vigueur avant 2026.
Serait-il opportun de devancer le programme ? Le chercheur estime qu’il ne lui appartient pas de le dire. Quels types d’installations sont en cause exactement ? L’étude ne fournit pas de détails là-dessus, mais indique que les installations plus anciennes risquent d’être plus polluantes. « J’encouragerais les gens à s’informer auprès de la Ville pour le savoir, signale-t-il. Je leur conseillerais aussi de faire inspecter leur appareil et peut-être aussi d’avoir un horaire d’entretien périodique de leur cheminée. »
Un contaminant parmi d’autres
L’été, les épisodes de smog auraient d’autres responsables, tels le débit des autoroutes, les camions routiers et les activités ferroviaires, avance le rapport présenté cette semaine.
Car les particules fines cohabitent avec d’autres contaminants de l’air dans Limoilou, tels le nickel en provenance du port et le dioxyde d’azote issu de la circulation automobile sur les autoroutes aux alentours.
Serait-on préoccupé par ces particules fines si elles étaient les seules à nuire à la qualité de l’air de Limoilou ? Peut-être moins, concède M. Charland.
Par ailleurs, les particules fines ne se dispersent pas de la même façon dans le quartier que le nickel qu’on retrouve en plus grande concentration à l’Est, à proximité du port, mentionne-t-il. « C’est une source qui est pas mal diffuse. Donc, ça risque de toucher pas mal tout le quartier. »
Quant à savoir ce que les résidents de Limoilou peuvent faire pour s’en prémunir, l’auteur du rapport leur suggère de se garder informés. Notamment via le programme Info-Smog du ministère de l’Environnement. « Les gens de Limoilou sont très mobilisés », ajoute-t-il. Depuis l’an dernier, la plateforme citoyenne RevolvAIR permet de documenter la qualité de l’air grâce à 75 capteurs distribués aux quatre coins du quartier.
Une autre étude de la Direction régionale de la santé publique doit paraître à ce sujet au printemps.