On veut juste se baigner !

PHILIPPE MERCURE, LA PRESSE, le 5 août 2021

Qu’y a-t-il de plus jouissif que de piquer une tête dans l’eau fraîche en été ?

Se baigner est un plaisir simple. Mais pour bien des Québécois, en profiter est trop compliqué. Surtout quand vient le temps de faire trempette dans un lac ou une rivière plutôt que dans l’eau chlorée d’une piscine.

Même chose quand il s’agit de canot, de kayak, de pêche. L’accès public à l’eau, que ce soit en ville ou à la campagne, est restreint.

C’est terriblement ironique, considérant le territoire que nous habitons.

Le Journal de Montréal rapportait cet été que les berges des lacs sont de plus en plus privatisées. Ceux qui en ont les moyens y érigent des chalets pour jouir des lieux. Les autres ? Tant pis pour eux. À Austin, en Estrie, la municipalité vient d’interdire la baignade au lac Orford à partir du seul terrain municipal qui y donnait accès.

Le même combat se mène à Montréal. Au début du mois de juillet, des dizaines de citoyens se sont lancés dans le bassin Jacques-Cartier pour réclamer un lieu de baignade dans le Vieux-Port. Les voir sauter dans le fleuve avait un côté joyeusement transgressif.

Mais ce « Grand Splash » n’arrive qu’une fois l’an. Et le projet de bain portuaire, pourtant une promesse-phare de la mairesse Valérie Plante, est désespérément embourbé.

Les obstacles qui se dressent devant les simples baigneurs sont frustrants. Le Québec a une Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau. On y stipule que ces dernières font « partie du patrimoine collectif ». Dans les faits, c’est loin d’être toujours vrai.

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Dans le cas des lacs et rivières, Le Journal de Montréal rappelait que le moment est idéal pour entamer une réflexion. À la suite des inondations de 2019, plus de 870 terrains situés près des cours d’eau ont été cédés aux municipalités en échange d’une aide financière.

Le projet de loi 67 donne aussi de nouveaux pouvoirs aux municipalités pour aménager des accès publics à l’eau. Le ministère de l’Environnement s’est quant à lui donné l’objectif de favoriser l’accès à la nature pour la population depuis la pandémie. Les conditions pour accoucher d’une véritable stratégie sont donc là. Mais cela exigera une concertation entre différents ministères (Environnement, Affaires municipales, Faunes et Parcs).

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À Montréal, la saga du bain portuaire exige aussi un déblocage. Valérie Plante s’était engagée à le faire au quai de l’Horloge, mais on a rapidement constaté que le courant et la présence de bateaux rendaient le site dangereux.

L’intérêt s’est alors tourné vers le bassin Jacques-Cartier. Au cœur du Vieux-Port, un tel bain changerait le visage de Montréal, au même titre que les bains urbains de Copenhague ou de Zurich.

Les lieux sont déjà publics puisqu’ils appartiennent au gouvernement fédéral par l’entremise de la Société immobilière du Canada (SIC). Hélas, ça ne veut pas dire que ça simplifie les choses.

La SIC évoque des enjeux de sécurité avec les bateaux pour y interdire la baignade. Or, on se trouve ici dans un bassin encadré par des quais. On est en droit de se demander pourquoi lesdits bateaux devraient occuper toute la place, et si ces enjeux de sécurité sont vraiment insolubles.

Un bain de 75 sur 50 mètres comme le propose la Fondation Rivières occuperait moins de 7 % du bassin Jacques-Cartier. La marina actuelle ne pourrait-elle pas être un peu déplacée ?

Rappelons qu’une marina ne profite qu’à quelques nantis, alors qu’un bain public bénéficierait à tout le monde.

En Grèce, on a envie de se baigner dans le ciel, disait Henry Miller. Au Québec, on a simplement le goût de le faire dans nos cours d’eau.

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