Laurentia: feu le port à conteneurs

LÉONCE NAUD, Québec

Le Soleil, section POINT DE VUE, publié le 11 juillet 2021

Le projet Laurentia consistait à céder pour 60 ans la maîtrise de l’essentiel de l’activité portuaire à Québec à un immense conglomérat chinois, d’abord par un remplissage en règle du fleuve puis en construisant un port à conteneurs dernier cri. Ainsi aurait été mise en place une nouvelle chaîne d’approvisionnement entre l’Asie et le Nord-est de l’Amérique. On aurait ouvert une nouvelle route d’accès à une invasion de produits Asiatiques destinés aux marchés intérieurs du Québec, de l’Ontario et du Midwest. 

Pour ce faire, il aurait fallu frayer le passage à 750 000 conteneurs par année à travers les quartiers densément peuplés de la Basse-Ville de Québec, puis transporter toute cette marchandise à chaque jour, à l’année longue, avec des trains-blocs à conteneurs superposés de plus de deux kilomètres  de long à travers le Québec et l’Ontario. Les villes et villages que traverse le réseau ferroviaire du Canadien National auraient apprécié. Ces braves gens étaient-ils seulement au courant? Et comment le vieux Pont de Québec aurait-il supporté la charge de tout çà ?     

Était-ce l’idée du siècle que de mettre en place une nouvelle chaîne d’approvisionnement asiatique plus efficace et moins coûteuse, favorisant l’entrée au pays d’une production agricole et industrielle étrangère destinée à submerger nos propres marchés à des prix impossibles à concurrencer par nos propres industriels ou producteurs agricoles ? À l’échelle macroéconomique, il s’agit d’une stratégie en attente d’une très bonne explication.   

Le port de Prince Rupert, un bled perdu dans le nord de la Colombie-Britannique, a choisi d’ouvrir une telle porte d’entrée à une véritable invasion de produits en provenance de l’Asie. À Québec, le projet Laurentia reposait sur exactement la même stratégie. Obnubilés par le très discret Don Krusel, les gens du Port étaient en extase devant l’exemple de Prince Rupert. Le problème, c’est que la bourgade de Prince Rupert n’a rien à voir avec Québec, aussi bien du point de vue population (12 220 habitants) que de la configuration des réseaux continentaux de transport. Il se dégageait de toute cette affaire une odeur persistante de Clotaire Rapaille et de son fameux «code Québec».

D’une part, on nous demande d’acheter québécois ou canadien. D’autre part, une entreprise chinoise aimait bien que de naïfs Canadiens offrent de fluidifier au maximum l’importation d’une masse de produits industriels ou alimentaires en provenance de l’Asie. Peu de conteneurs Québécois auraient pris la direction de l’étranger à partir de Québec. Le projet Laurentia, c’était la vision d’Hutchison Ports, autrement dit celle de la Chine. Cette dernière entend contrôler les grands axes de communications pour donner à ses marchandises un accès privilégié aux consommateurs du monde entier. Pour ce faire, elle entend dominer le transport océanique de conteneurs, contrôler des ports stratégiques, acheter ou partager des axes ferroviaires, acquérir des pipelines, des réseaux électriques, etc. Bref, ouvrir le monde entier à ses produits tout en demeurant fort peu réceptive aux produits manufacturés en provenance du reste de la planète. « Exactly what we were doing in our Empire days », dit un connoisseur britannique. 

Au dernier forum de Davos, le président Chinois Xi Jinping a mis l’Occident en garde contre tout bouleversement des chaînes d’approvisionnement. Justement, le projet Laurentia à Québec consistait à mettre en place une nouvelle chaîne d’approvisionnements…chinoise. Le camarade Xi aurait été content. Lui et Geneviève Guilbault. Washington l’aurait été beaucoup moins. 

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