Le fédéral met un frein à l’agrandissement du Port de Montréal en protégeant l’habitat d’un poisson rare

Sa survie dépend d’un herbier où le port de Montréal veut s’agrandir

ANNE CAROLINE DESPLANQUES, Journal de Montréal, mercredi, 26 mai 2021

Ottawa protège l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson en voie de disparition qui ne vit qu’au Québec, précisément à l’endroit où le Port de Montréal veut s’agrandir, à Contrecœur. 

L’arrêté ministériel activant l’interdiction de détruire l’habitat essentiel du chevalier cuivré, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, a été publié aujourd’hui dans la Gazette officielle.

«Cet arrêté vient indiquer que ce n’est plus possible de construire un port à Contrecœur, en tout cas selon la forme actuelle du projet», estime le professeur Louis Bernatchez, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique et conservation des ressources aquatiques, à l’Université Laval.

«C’est une grande victoire pour le chevalier cuivré, une victoire inconditionnelle qui remet en question la possibilité de poursuivre à Contrecœur le projet d’expansion du Port de Montréal», renchérit le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) au Québec.

Le projet de terminal de conteneurs chiffré à 750 millions de dollars est en effet situé à l’intérieur des limites de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, indique l’arrêté. Or la construction du quai, le dragage des fonds et l’augmentation du trafic maritime risquent de nuire à l’habitat unique du poisson, qui ne pourrait être recréé ailleurs, souligne le professeur Bernatchez.

Le port maintient le cap

Le projet a cependant reçu l’aval de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada et le feu vert du ministre fédéral de l’Environnement, ces derniers mois.

De fait, la porte-parole du port, Mélanie Nadeau, indique que le processus en vue de construire un nouveau terminal à Contrecoeur «se poursuivra».

«Le Port de Montréal a l’intention de réaliser toutes les mesures de compensation pour les pertes d’habitats du chevalier cuivré. Et notre plan devra être approuvé par Pêches et Océans Canada, en vertu de la Loi sur les espèces en péril, comme le stipule l’arrêté ministériel», dit-elle.

M.Bernatchez estime que le gouvernement pourrait encore nager à contre-courant du chevalier cuivré en émettant malgré tout un permis de construire pour le port, car «les enjeux économiques sont très importants». Il s’exposerait cependant à un autre combat juridique, souligne l’expert.

Au bord du gouffre

La SNAP et le Centre québécois du droit de l’environnement ont déposé en janvier une poursuite judiciaire en Cour fédérale pour forcer Ottawa à protéger l’habitat essentiel du poisson. Celui-ci a été placé sur la liste des espèces en péril dès 2007, mais rien n’a été fait depuis pour protéger son aire de vie, donc pour empêcher sa disparition. 

«Le gouvernement canadien aura accumulé un retard de 101 mois sur les délais prescrits par la loi, un retard effarant pour une espèce au bord du gouffre», s’inquiète M. Branchaud.

«Tous les voyants sont au rouge pour la seule et unique population mondiale de chevaliers cuivrés, nous n’avons tout simplement plus le droit à l’erreur pour cette espèce», prévient-il.

Selon les estimations, on compterait seulement quelques milliers de chevaliers cuivrés, tout au plus.

Une icône québécoise

Ce poisson qui nage dans nos eaux depuis un million d’années est le seul ayant une aire de répartition exclusive au Québec.

«C’est une espèce iconique du Québec, au même titre que le béluga et le caribou», souligne M. Bernatchez.

C’est un poisson migrateur qui se reproduit dans le Haut-Richelieu, puis va se nourrir dans les herbiers du Saint-Laurent, tout juste en aval de Contrecœur.

Son aire d’alimentation est extrêmement restreinte et son régime alimentaire est lui aussi très particulier: il mange presque uniquement (90%) de petits mollusques, comme des escargots.

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