Alexandre Shields, Le Devoir, 27 mai 2021
Le gouvernement Legault s’est opposé à la décision du fédéral de protéger l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson « en voie de disparition », qui est unique au Saint-Laurent. C’est ce que révèle une décision rendue mercredi par Ottawa qui confirme la protection de cette espèce, tout en laissant la porte ouverte à la destruction d’une partie de cet habitat par le Port de Montréal, à Contrecœur.
Selon ce qu’on peut lire dans l’« arrêté » ministériel du gouvernement fédéral pour la protection de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, le gouvernement Legault a envoyé « une lettre » à Pêches et Océans Canada (MPO) et à Environnement Canada « indiquant que la province s’oppose à la prise de l’arrêté ».
Cette lettre, qui a été envoyée après la publication de la proposition d’arrêté visant cet habitat, en février dernier, soulignait notamment que « la décision de protéger l’habitat essentiel du chevalier cuivré en vertu de la Loi sur les espèces en péril pourrait avoir des conséquences socio-économiques importantes au Québec », selon ce qu’on peut lire dans l’édition de la Gazette du Canada publiée mercredi.
Il faut dire que le projet de construction d’un nouveau port industriel de conteneurs à Contrecœur se réaliserait directement dans l’habitat essentiel du chevalier cuivré, une espèce qui n’existe que dans un petit tronçon du Saint-Laurent et dans certains de ces affluents.
Or, en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du Canada, lorsque cet habitat est officiellement protégé, il est interdit d’en détruire des éléments. La protection de l’habitat de ce poisson pourrait donc contrecarrer le projet d’expansion de 750 millions de dollars du Port de Montréal à Contrecœur.
Photo: Le Devoir
Soutien de Québec
Le gouvernement Legault a pris position en faveur de ce projet portuaire, le plus important des dernières décennies au Québec. En janvier dernier, il a même accordé une subvention de 55 millions de dollars aux promoteurs, afin de leur permettre de démarrer le projet.
« Ce projet est en synergie avec notre vision de mise en valeur du fleuve Saint-Laurent afin d’en faire un corridor économique performant », avait alors résumé la ministre responsable de la Métropole et de la région de Montréal, Chantal Rouleau. « Nous souhaitons y développer une navigation plus performante et très respectueuse des écosystèmes », avait-elle ajouté.
L’aide financière du gouvernement du Québec a été accordée avant la fin de l’examen environnemental et au moment où le projet était au cœur d’une action en justice contre le gouvernement fédéral, lancée par des groupes qui exigeaient la protection de l’habitat de l’espèce, comme le prévoit la LEP.
Dans sa lettre envoyée à MPO pour s’opposer à la protection de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, le gouvernement Legault a également fait référence à l’Entente de collaboration avec le fédéral pour la protection et le rétablissement des espèces en péril au Québec.
Selon l’argumentaire du gouvernement, le Québec assure en priorité le leadership des activités liées à la protection et au rétablissement des espèces en péril sur son territoire. « La lettre fait aussi référence aux outils légaux et réglementaires en vigueur qui permettraient d’assurer la protection et de promouvoir le rétablissement des espèces en péril de façon efficace », selon ce que précise la Gazette du Canada publiée mercredi.
Porte ouverte au Port de Montréal
Malgré l’opposition de Québec, Ottawa vient de confirmer la protection de l’habitat du chevalier cuivré. Il s’agit d’ailleurs d’une obligation en vertu de la LEP qui aurait normalement dû être remplie dès décembre 2012. Le gouvernement Trudeau laisse tout de même la porte ouverte à l’expansion portuaire de Contrecœur. Il faut dire qu’il a déjà autorisé le projet en mars dernier, avant de protéger l’habitat du poisson menacé. Ottawa avait également accordé 300 millions de dollars au projet, et ce, plusieurs mois avant la fin de l’évaluation environnementale.
Selon ce qu’on peut lire dans la Gazette du Canada, Ottawa reconnaît que le projet de transbordement annuel de plus d’un million de conteneurs se réaliserait « à l’intérieur des limites de l’habitat essentiel du chevalier cuivré qui est protégé par cet arrêté ». Le fédéral ajoute que le projet « devrait avoir des répercussions sur les poissons et leur habitat, y compris le chevalier cuivré et son habitat essentiel ».
Ottawa précise toutefois que le promoteur peut « déposer des plans compensatoires » lorsqu’il demandera une autorisation de destruction d’une partie de l’habitat essentiel de l’espèce, en vertu de la LEP. C’est d’ailleurs ce qu’a prévu le Port de Montréal, qui dit vouloir aménager des habitats dans d’autres secteurs pour compenser les répercussions de son projet.
« Avec l’aide d’experts, nous continuons d’améliorer plusieurs mesures d’atténuation et de compensation », a réagi mercredi le Port de Montréal. « Nous réitérons notre volonté de respecter l’ensemble de la réglementation applicable et de déployer les meilleures mesures de compensations pour gérer les impacts de façon responsable. »
Projet majeur
Selon l’évaluation actuelle des promoteurs, il est question de draguer au moins 750 000 mètres cubes de sédiments du fleuve Saint-Laurent, sur une superficie estimée à 150 000 mètres carrés (environ 20 terrains de soccer). Ces opérations sont nécessaires pour construire le quai de 675 mètres, où transiteront chaque année jusqu’à 156 navires porte-conteneurs.
Ce projet d’expansion portuaire doit permettre de faire transiter chaque année jusqu’à 1,15 million de conteneurs à un nouveau terminal situé à Contrecœur, sur la rive sud du Saint-Laurent. Jusqu’à 1200 camions y transiteront chaque jour en période de pointe, ce qui équivaut à plus de 400 000 camions chaque année. Ceux-ci transiteront notamment par l’autoroute 30. Les émissions de gaz à effet de serre découlant de ce volet du projet ont toutefois été exclues de l’évaluation fédérale.
La capacité des installations du Port de Montréal sur l’île étant de 2,1 millions de conteneurs annuellement, le projet de Contrecœur permettrait de faire passer le total dans la région à 3,25 millions de conteneurs chaque année, soit une hausse de 55 %.
Blocage à Contrecœur ?
La Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), qui avaient lancé une action en justice pour forcer le fédéral à respecter sa propre Loi sur les espèces en péril, ont salué mercredi la publication de l’arrêté ministériel. Les deux organismes ont également souligné, par voie de communiqué, que la LEP ne permettrait pas de détruire des éléments de l’habitat essentiel du chevalier cuivré.
« C’est une grande victoire pour le chevalier cuivré, une victoire inconditionnelle qui remet en question la possibilité de poursuivre à Contrecœur le projet d’expansion du port de Montréal », a soutenu Alain Branchaud, directeur général de la SNAP Québec.
Avant de procéder aux travaux dans le fleuve qui entraîneront cette destruction d’habitats aquatiques, les promoteurs du port de Contrecœur devront en effet obtenir un permis en vertu des dispositions de l’article 73 de la LEP. Selon M. Branchaud, le projet de Contrecœur ne cadre pas dans ces activités.
Normalement, une telle autorisation ne peut être accordée qu’en vertu de trois « activités visées » : « des recherches scientifiques sur la conservation des espèces menées par des personnes compétentes », « une activité qui profite à l’espèce ou qui est nécessaire à l’augmentation des chances de survie de l’espèce à l’état sauvage », ou encore « une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente ».