Labeaume est-il en train de larguer Laurentia?

François Bourque, Le Soleil, publié le 9 mars 2021

CHRONIQUE / La réponse du maire Labeaume est passée inaperçue dans le boucan du conseil municipal de la semaine dernière, mais elle mérite qu’on y revienne, car elle est lourde de sens.

Le maire de Québec a été jusqu’ici un partisan acharné du projet de terminal de conteneurs Laurentia.

Souvenez-vous de sa tapageuse sortie de septembre dernier, flanqué du PDG du Port Mario Girard, de la rectrice Sophie d’Amours et du président de la Chambre de Commerce Steeve Lavoie.

M. Labeaume avait accusé Montréal de vouloir «tuer le projet de Québec» et reprochait au gouvernement fédéral de se cacher derrière l’étude environnementale

«Il va falloir dans les prochaines semaines savoir où loge le fédéral dans le projet Laurentia», s’était-il impatienté.

Il était revenu à la charge quelques semaines plus tard. Le gouvernement et Jean-Yves Duclos doivent «faire plus», avait-il insisté, un propos que le président du conseil du Trésor qualifiera d’«irrespectueux».

L’opposition grandissante au projet, les conclusions critiques de l’agence fédérale d’évaluation d’impact et la dissidence de plusieurs élus de sa propre équipe n’avaient pas semblé ébranler l’appui du maire à Laurentia.

Jusqu’à la semaine dernière.

Jusqu’à ce que le conseiller d’Opposition Patrick Paquet s’étonne que le maire continue d’appuyer un projet qui «ne cadre pas» avec la nouvelle stratégie de développement durable de la ville.

«Je comprends pas comment le maire peut être capable de défendre ça».

Cette stratégie, inspirée des cibles de l’ONU sur l’environnement et l’équité sociale ne concerne pas directement le projet Laurentia, car elle ne vise que les actions et projets que contrôle la ville.

La crédibilité de cette stratégie sera cependant vite mise à l’épreuve si la ville appuie des projets qui iraient en sens contraire.

Réponse du maire : «Je ne sais pas pourquoi tout le monde s’énerve inutilement (…) Pour le projet du Port, c’est assez simple, les gens ici sont libres d’être pour ou contre. Certains sont contre, d’autres comme moi, attendent les conditions du gouvernement fédéral, on n’a pas les conclusions, moi j’attends ça. Je pense qu’il n’y a rien de plus normal».

M. Labeaume venait de quitter le camp des «pour» pour celui des indécis.

On ne lui en fera pas reproche. Il est en effet «normal» de vouloir attendre le verdict final de l’agence fédérale d’évaluation avant de décider de la suite. Bien plus normal que de patronner un projet avant d’en connaître les impacts, comme ça avait été le cas jusqu’ici.

Les premières conclusions de l’Agence fédérale, rendues publiques en novembre dernier, ont été très dures pour le projet Laurentia. Le Port de Québec a demandé du temps pour répondre aux préoccupations de l’Agence avant le dépôt d’un rapport final.

En attendant, le ministre fédéral de l’environnement vient de donner il y a quelques jours, le feu vert au projet de terminal de conteneurs de Contrecoeur, près de Montréal.

La décision a tenu compte du rapport de l’Agence d’évaluation environnementale qui conclut que le projet de Contrecoeur aura les impacts suivants:

faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre mais effets sur la santé humaine (physique et psychologique); effets sur les activités récréo-touristiques et sur les conditions traditionnelles de chasse et de pêche.

Des effets aussi sur le patrimoine naturel, sur des habitats de poissons (chevalier cuivré et obovarie olivâtre) sur des colonies d’hirondelles de rivages, sur des espèces floristiques, des tortues, des couleuvres et des chauves-souris.

Le gouvernement fédéral a imposé au promoteur 330 conditions à respecter pour limiter ces effets.

La ville de Québec n’a «aucune autorité sur un projet comme celui de Laurentia», a rappelé le maire Labeaume, en réponse à la question du conseiller Paquet la semaine dernière.

«Se faire embarquer dans un débat de pouvoirs avec le fédéral, on fait bien attention à ça».

Il fut un temps (il n’y a pas si longtemps) où le maire de Québec ne s’encombrait pas de la même délicatesse pour les juridictions d’autrui. S’il croyait un projet ou une cause bonne pour sa ville, il fonçait. Peu importe qui était devant.

Dans une entrevue récente (fin 2020) où je l’avais longuement interrogé sur ses motivations à soutenir Laurentia, M. Labeaume avait invoqué l’argument du «développement durable».

Transporter de grandes quantités de conteneurs sur de très gros bateaux, comme il serait possible de le faire à Québec avec Laurentia, laisserait moins d’empreintes carbone que tout autre mode de transport, avait-il fait valoir.

Le maire disait cependant comprendre les citoyens qui s’inquiètent pour leur qualité de vie et l’impact du projet sur le paysage. Il convenait aussi que d’un point de vue économique, «Québec n’en a pas besoin».

Le maire Labeaume est-il en train de larguer le projet Laurentia?

Ce sera à lui de le dire. Ce qu’on note en attendant, c’est qu’il n’affiche plus pour ce projet la même combativité qu’il y a quelques mois encore.

Si le maire en vient, peut-être, à vouloir doser ses énergies et choisir ses batailles, celle-là ne sera pas, à l’évidence, sa priorité.

Le cas échéant, il faudra se demander quelle sorte d’avenir pourrait avoir un projet aussi controversé qui n’aurait plus l’appui du maire de la ville ni d’aucun des groupes d’opposition.

Le Port de Québec a dévoilé vendredi dernier un projet de parc urbain de 2 M $ dans la cour arrière de Laurentia.

L’exercice est à sa face même tellement grossier (dans le sens de pas subtil) qu’il ne vaut pas la peine de mettre beaucoup d’énergie à le commenter.

Des arbres, des sentiers, des parterres d’arbustes et de fleurs et de la verdure qui vont permettre de contrer le nouvel îlot de chaleur des surfaces asphaltées du terminal.

Le tout, montré sur une simulation proprette en vue aérienne qui fait paraître les grues et les murs de conteneurs tout petits. Dans le cadrage, pas la moindre trace de vrac, de rouille ou de poussière, qui pourtant sont là pour rester.

Je ne sais pas si le Port pensait pouvoir calmer les inquiétudes ou rendre son projet plus comestible en plantant des arbres dans une belle image, mais personne n’est dupe. Surtout dans le contexte des dernières consultations sur le projet.

Personne n’est contre l’idée de planter des arbres et d’aménager de nouveaux espaces publics. Le Port l’a fait déjà et dit vouloir continuer, tant mieux.

Mais ça ne change rien aux questions essentielles que sont la hausse appréhendée de la circulation de camions lourds et de trains dans Limoilou (et Vanier); à l’augmentation des bruits et de la poussière qui viendront avec. Ça ne change rien à l’impact des grues et des murs de conteneurs sur le paysage du fleuve. Et ça ne change rien à l’empiétement du nouveau quai sur des habitats naturels et poissons.

Faute de réponses satisfaisantes à ces inquiétudes, le reste ne peut être considéré que pour ce qu’il est : de la décoration.

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