Plus de camions lourds le long de la promenade Samuel-De Champlain

François Bourque, Le Soleil, publié le 6 février 2021

CHRONIQUE / Le nouveau terminal de grain de l’Anse au Foulon va entraîner une augmentation parfois significative de la circulation de camions lourds le long de la promenade Samuel-De Champlain.À la période de pointe de l’automne, il pourrait y avoir certains jours jusqu’à 200 mouvements de camions supplémentaires, en additionnant les allers et les retours.

Cela représente une hausse de 50 % et sans doute au-delà par rapport aux 300 à 400 véhicules lourds habituels sur Champlain en cette période de l’année. 

Vous ne trouverez pas cette statistique dans les études d’impacts sur les projets portuaires à l’Anse au Foulon. 

On y évoque plutôt des hausses minimes de circulation inférieures à 1 %, peut-être un peu plus, dépendamment des données d’achalandage utilisées pour le calcul. 

L’explication est que dans les études d’impact, le nombre de nouveaux camions lourds est noyé dans l’achalandage total de la circulation (autos et véhicules lourds). 

Il en résulte de petites hausses qui sont peut-être exactes d’un point de vue mathématique, mais ne rendent pas compte de la réalité du bruit. 

Un camion qui roule à 50 km/h, comme il est permis de le faire sur le boulevard Champlain, produit 85 décibels à 20 mètres de distance. Une hausse de circulation de camions va affecter le climat sonore de la promenade Samuel De-Champlain. Sur plusieurs tronçons, à peine quelques mètres séparent les voies de circulation des sentiers de promenade et aires de repos. 

Ces sentiers sont fréquentés par 9500 personnes par jour en moyenne, évalue la Commission de la capitale nationale (CCN). 

Je trouve le chiffre un peu invraisemblable, compte tenu des périodes creuses de l’hiver, des jours de pluie, etc. Mais il ne fait pas de doute que la promenade Samuel-De Champlain est un succès de fréquentation. 

L’achalandage devrait continuer à augmenter avec la fin des travaux de construction de la phase 3 prévue en 2023 (nouveau pavillon, plan d’eau, accès aux berges, etc.). 

Les pouvoirs publics auront alors investi près de 300 millions $ pour réaménager le boulevard Champlain et faire de la promenade une destination de détente et de contemplation. Cela a été rendu possible par la disparition des réservoirs à essence en bordure du fleuve.

Ce qui n’était pas connu, c’est que ce retour au fleuve allait s’accompagner d’un retour au bruit causé par l’accroissement des activités portuaires à l’Anse au Foulon.

Le bruit et la poussière soulevés par le passage d’un nombre accru de camions lourds et de trains sur le boulevard Champlain n’ont pas été considérés dans les études d’impact et consultations menées à l’Anse au Foulon.

Le Port de Québec vise la «conformité environnementale sur tout son territoire». Mais pas au-delà. Donc pas sur le boulevard Champlain ni sur la promenade.

On trouvera peut-être une consolation dans le fait que la période de pointe pour l’approvisionnement du terminal par camions et par trains ne sera pas l’été, mais plutôt l’automne (et un peu le printemps; voir tableau 1). INFOGRAPHIE LE SOLEIL

L’intensification des activités portuaires au Foulon ne sera cependant jamais une bonne nouvelle pour les utilisateurs de la promenade et les voisins du terminal.

L’enjeu de la cohabitation des activités portuaires et récréatives se pose aussi à la baie de Beauport. 

Le projet de terminal de conteneurs Laurentia aura un impact sur le climat visuel et sonore de la batture et de la future phase 4 de la promenade Samuel De-Champlain. 

Là aussi le terminal va entraîner une augmentation de la circulation de camions lourds en bordure du fleuve (Dufferin-Montmorency) au moment où les pouvoirs publics s’apprêtent à y investir pour bonifier les équipements de détente.

La différence avec le terminal du Foulon est que pour Laurentia, le feu vert n’a pas été donné encore.

Le terminal de grain est constitué des gros silos blancs, de nouveaux silos métalliques, de convoyeurs, d’un élévateur, d’une tour de nettoyage du grain et d’une cour de triage. Ne reste à faire que les aménagements paysagers.Le terminal de grain est constitué des gros silos blancs, de nouveaux silos métalliques, de convoyeurs, d’un élévateur, d’une tour de nettoyage du grain et d’une cour de triage. Ne reste à faire que les aménagements paysagers. (LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE)

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DU BRUIT AU-DELÀ

Les opérations portuaires à l’Anse au Foulon vont entraîner des dépassements aux normes de bruit du ministère de l’Environnement et au règlement municipal de la Ville de Québec.

Ces dépassements iront parfois jusqu’à 7 décibels (dBA) au-dessus des «limites» selon une étude d’impact menée l’an dernier pour le Port de Québec. 1

Une différence de 5 à 10 dBA est généralement perçue comme un doublement de l’intensité sonore, indique le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Ajouter des décibels dans un environnement déjà bruyant comme celui du boulevard Champlain et des installations portuaires de l’Anse au Foulon n’est donc pas insignifiant.

Ces dépassements surviendront lors du déchargement de wagons et lors de périodes de forte activité où s’additionnera le bruit de trains, de chargements de bateaux, mouvements de camions, machineries, etc.

Les périodes à risque seront l’exception si on en croit le calendrier des approvisionnements, les horaires d’opération et les modélisations qui en ont été tirées. Les dépassements ne seront donc pas constants ni perceptibles de façon égale partout autour du site.

Le ministère des Transports du Québec (MTQ) a consenti pour ce projet deux subventions (20 M$ et 2,8 M$) sur la base d’une conformité aux normes.

Les conditions du Programme de soutien aux infrastructures maritimes sont claires :

«Les bénéficiaires doivent respecter les lois, les règlements et les normes en vigueur et obtenir les autorisations requises avant l’exécution du projet».

En cas de non respect, le ministère peut exiger que le Port se conforme, peut réduire sa subvention voire demander le remboursement des sommes versées. Le MTQ ne fait pas lui-même les vérifications de conformité. La responsabilité incombe «au bénéficiaire».

On a appris depuis que les nouvelles activités à l’Anse au Foulon ne respecteront pas toujours les normes du Québec (étude d’impact 2020).

Le Port de Québec a donné le feu vert au projet de voies ferrées en toute connaissance de cause. Son pdg, Mario Girard, a signé le document d’autorisation le 6 mai 2020, malgré les écarts annoncés aux normes de bruit.2

Légalement, le Port est souverain sur son territoire et n’est pas assujetti aux réglementations sur le bruit de la Ville et du Québec. Rien ne l’empêchait donc d’agir ainsi.

Ce n’est cependant pas très édifiant pour une administration qui dit vouloir respecter les volontés et règles locales.

Le choix du vocabulaire dans les études d’impact est révélateur, je trouve. Le Port et ses partenaires y parlent de «valeurs guides» plutôt que de «normes» et «d’écarts» plutôt que de dépassements. Comme si un vocabulaire aseptisé allait atténuer les bruits ou les rendre plus acceptables.

À quoi servent les normes s’il est possible de les dépasser sans conséquence et de toucher quand même des subventions? La question se pose.

L’entreprise Sollio Groupe Coopératif, qui exploite le terminal de gain, a promis elle aussi de respecter les normes locales. Au lendemain des premières simulations qui exposaient les risques de bruit, en 2018, elle a adopté des mesures d’atténuation : ajouts de silencieux; renoncement «dans la mesure du possible» à recevoir des trains la nuit; circulation en boucles des camions pour éviter le «reculon»; élimination de signaux sonores, etc.

Il reste à voir comment ces bonnes intentions vont se concrétiser. Sollio se donne normalement 16h pour décharger chaque train. Cela risque forcément d’empiéter sur les plages horaires du soir et/ou de la nuit où les seuils de bruit permis sont plus faibles.

Le cas échéant, il serait difficile de plaider l’exception, car on attend 45 trains par année.

Quoi qu’il en soit, l’étude impact de SNC-Lavalin 2018 a conclu que le nouveau terminal allait respecter les normes municipales et provinciales sur le bruit.3

NOTES

(1) «Modélisation sonore des opérations portuaires : Port de Québec – Secteur de l’Anse au Foulon», SNC-Lavalin, 14 mai 2020.

(2) «Mise à niveau des infrastructures de l’Anse au Foulon»; Autorisation de l’Administration portuaire de Québec. Mario Girard, pdg, 6 mai 2020.

(3) «Projet de terminal maritime d’exportation de grains de La Coop fédérée», Anse au Foulon, Port de Québec; Rapport d’évaluation des effets environnementaux, SNC-Lavalin, 5 juin 2018.

(4) La Ville de Québec (règlement 978) et le ministère de l’Environnement (note d’instruction 98-01) ont des critères et des seuils de bruit différents. Ils découpent aussi le temps de façon différente, la Ville utilisant une plage spécifique pour le soir, entre 19h et 23h.

(5) «Projet de terminal maritime d’exportation de grains de La Coop fédérée», Anse au Foulon, Port de Québec; Évaluation des effets environnementaux bonifiée, SNC-Lavalin, 9 août 2018.

(6) https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/sante-environnementale/bruit-environnemental/caracteristiques-et-mesures-du-bruit-environnemental

Les nouveaux silos métalliques du terminal de grainLes nouveaux silos métalliques du terminal de grain (LE SOLEIL, PATRICE LAROCHE)

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«INACCEPTABLE, DÉNONCENT DES CITOYENS»

La plus récente étude d’impact n’a pas fait beaucoup de bruit lorsqu’elle a été rendue publique au début de la pandémie, le printemps dernier.

Pas autant que le débat de l’époque sur la construction des gros silos blancs. Le consortium des Syndicats de copropriété des Jardins Mérici (1300 logements) a cependant les nouvelles installations du Foulon à l’œil :

Il demande à Sollio et au Port de respecter leurs propres engagements et de modifier leurs projets «pour les rendre conformes aux règles environnementales qu’ils prétendent respecter».

Ces citoyens demandent aussi au ministère de l’Environnement de confirmer que les projets au Foulon sont conformes aux lois et normes en vigueur.

À défaut, ces résidents demandent au ministère des Transports de suspendre ou retirer ses subventions au projet.

«Ça me laisse pantois que les gouvernements n’appliquent pas leurs propres règles» en subventionnant des projets non conformes. C’est quasiment des faits alternatifs», jette le porte-parole du consortium, Gérard Grégoire. «C’est inacceptable en 2021».

M. Grégoire a participé depuis 2019 à des discussions avec le Port de Québec et Sollio. Pas pour s’opposer, dit-il, mais pour s’assurer du respect des normes environnementales.

Il dit être toujours en attente des mesures qui seront prises par le Port pour se conformer aux normes sur le bruit.

Le conseil de quartier de Sillery vient pour sa part de voter (12 janvier 2021) une résolution demandant à la Ville de Québec d’intervenir auprès du ministère des Transports pour régler le «problème récurrent» de la vitesse et du bruit sur Champlain.

Le conseil de quartier n’a pas abordé directement les impacts du nouveau terminal de grain, rapporte son secrétaire, Luc Trépanier.

Le texte de la résolution votée à l’unanimité cible cependant les véhicules lourds qui ont «souvent recours au frein moteur qui perturbe la quiétude du quartier».

«L’évolution des usages vers des activités de transport actif, sportives et récréotouristiques du boulevard modifie les besoins en matière de circulation», plaide aussi le conseil de quartier. Les sensibilités et inquiétudes ne sont cependant pas partout les mêmes.

Christine Fortier habite depuis toujours la première maison du boulevard Champlain à l’est de la côte Gilmour, tout juste en face des silos et élévateurs à grain.

Bois, conteneurs, vrac, elle a connu tous les bruits du port à l’Anse au Foulon. «Ça fait partie de la vie», philosophe-t-elle.

Le terminal à grain, «ça ne m’inquiète pas», dit-elle, même si elle se doute que ce «sera un peu bruyant quand ça va opérer».

Lors de la construction des premiers silos blancs (haut de 46 m), Mme Fortier a perdu la vue qu’elle avait des bateaux depuis la fenêtre du premier étage. La «machinerie» du terminal, ce n’est «pas très élégant ni très beau. Ça laisse à désirer», constate-t-elle aussi, visiblement résignée.

Ce qui l’a inquiétée davantage que le bruit ou la vue sur les équipements bric-à-brac entreposés au pied des silos, c’est la crainte que le grain des silos attire de la vermine. Elle dit avoir été rassurée. François Bourque

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LE TERMINAL DE GRAIN

Pleinement fonctionnel depuis quelques semaines, le nouveau terminal devrait tourner à pleine capacité (1 290 000 tonnes par an) dès 2022, prévoit Sollio Groupe Coopératif (anciennement Coop fédérée). Le grain proviendra à 20 % du Québec; le reste de l’Ontario et du Canada. La grande majorité est destinée à une consommation animale. Le plan de Sollio prévoit que 12 % du grain arrivera au terminal par camion, 34 % par train et 54 % par bateau. Ce grain sera nettoyé et entreposé dans les silos de l’Anse au Foulon, pour être exporté ensuite par de gros navires (entre 2 et 7 expéditions par mois). François Bourque

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