Notre université doit prendre ses distances du projet Laurentia

MARIA DE KONINCK, professeure émérite et associée, département de Médecine sociale et préventive

Le Soleil, publié le 4 décembre 2020

POINT DE VUE / Lettre à Madame Sophie D’Amours, rectrice de Université Laval. J’aimerais tout d’abord exprimer ma reconnaissance pour votre contribution importante à notre université. Vous avez su dynamiser le milieu et contribuer à l’esprit communautaire, notamment, en soutenant notre adhésion à une démarche «animée d’une culture de développement durable».

Je m’adresse à vous aujourd’hui, en tant que professeure-chercheure en santé des populations, parce que votre appui au projet Laurentia me déconcerte. Ce projet va à l’encontre de la démarche de développement durable que vous avez soutenue et à laquelle nous nous sommes rallié.es. Dans son rapport préliminaire, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) souligne qu’il aura des «effets environnementaux négatifs importants». Ce projet va également à l’encontre de la démarche de santé durable que ma Faculté met de l’avant.

La communauté des professeur.es et chercheur.es, à laquelle j’appartiens, s’intéresse aux différents déterminants de la santé, dont les inégalités sociales, la qualité des milieux de vie, ainsi que les activités individuelles et collectives qui favorisent la santé. Ce sont des enjeux soulevés par le projet Laurentia en raison notamment de son impact sur le transport des marchandises en milieu urbain et le remblayage d’une partie importante de la baie de Beauport.

À la suite d’une étude réalisée par mon équipe de recherche sur les inégalités sociales de santé, ayant permis de comparer des territoires de la région de Québec, nous avons, en 2008, publié des données démontrant que des inégalités sociales de santé y existent bel et bien. S’ensuivirent différentes suggestions d’actions pour contrer ces inégalités. Or, c’est justement dans des quartiers moins favorisés que la réalisation du projet Laurentia augmenterait de beaucoup le camionnage, une activité associée à de nombreux risques.

Les semi-remorques, chargés de livrer les conteneurs du nouveau terminal, traverseraient les quartiers densément peuplés de l’arrondissement La Cité – Limoilou, un secteur où l’air est déjà de piètre qualité. L’augmentation importante du nombre de convois ferroviaires qui traverseraient aussi ces quartiers s’avère également contraire à la quête d’un milieu de vie plus sain. Soulignons qu’en 2016, la plus grande partie du territoire de Limoilou apparaissait toujours comme faisant partie des plus défavorisés de notre région, selon l’indice combiné de défavorisation matérielle et sociale. Il en va pareillement de la zone riveraine de l’arrondissement de Beauport.

Alors que mes collègues travaillent à soutenir le développement d’habitudes de marche, la pratique du vélo et les activités de plein air chez les enfants et les adultes, non seulement le Port prétend-il qu’il sera bénéfique pour la région d’augmenter le transport des marchandises à travers les quartiers résidentiels, mais il ajoute aussi qu’il y aura des avantages à amputer une partie du territoire réservé aux activités nautiques et de plage de la Baie de Beauport. Il faut s’y rendre pour constater à quel point de nombreuses familles du secteur en profitent. Cette plage a confirmé son utilité sociale l’été dernier alors que la pandémie de la COVID-19 réduisait les options de loisirs. La baie de Beauport est un joyau, non seulement pour les yeux, mais aussi pour le bien-être de la collectivité. Ne serait-ce qu’examinée sous cet angle, la réalisation du projet Laurentia n’est pas une bonne nouvelle pour notre région.

Faible impact sur l’emploi local

À ces questions s’ajoute le fait que ce terminal à conteneurs aurait un très faible impact sur l’emploi local, puisque les postes permanents qu’il créerait après sa construction seraient peu nombreux, d’autant plus que l’évolution technologique conduit inéluctablement à la robotisation des emplois liés au transbordement.

Dans une perspective de développement et de santé durables et afin de «mettre à contribution l’expertise et les connaissances de nos professeurs et de nos équipes de recherche», ne devrions-nous pas, en tant qu’université, appuyer, à ce titre, des projets prometteurs? Soumis aux critères de développement et de santé durables, le projet Laurentia échoue lamentablement. Ce dernier présente des risques pour l’environnement et pour la santé des populations vivant près du port.

Alors que l’on s’attendrait à ce qu’un projet appuyé par une université soit robuste sur le plan de sa logique et de son argumentaire, le constat est le suivant: ledit projet ne résiste pas à une évaluation rigoureuse. De surcroît, la réserve attendue de la part d’une institution du savoir n’a pas été garantie parce que l’appui a été accordé avant même que l’évaluation environnementale n’ait été complétée.

En contexte de pandémie, la situation collective que nous vivons ne devrait-elle pas être une occasion de nous interroger sur l’essentiel? Que faire pour léguer aux générations futures une région en santé? Les concepts de développement et de santé durables fournissent une réponse. Il nous faut respecter l’environnement et les écosystèmes, créer et entretenir des milieux de vie sains et opter pour des choix économiques qui assurent l’équilibre entre les retombées bénéfiques de nouveaux investissements et leur répartition équitable au sein de la population de notre région.

Notre université doit prendre ses distances par rapport à ce projet qui aurait des conséquences délétères, et poursuivre ses actions de promotion d’un développement durable, lequel contribue à la santé des populations.

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