L’administration du Port de Québec, relent colonial?

Mireille Bonin, Québec

Le Soleil, publié le 30 novembre 2020

POINT DE VUE / Au fil des enseignements de Thomas Piketty, dernièrement avec son livre à succès Capital et idéologie, je réalise que de tous les temps, c’est le 1 % qui mène.

À partir de l’Antiquité, en passant par les sociétés ternaires du Moyen-Âge où la noblesse et le clergé représentant le 1 % de la population se partageaient 90 % de la propriété et de la richesse. Plus tard, avec le régime colonial français, au XIXe siècle, même après la Révolution française, c’est le 1 % qui se partageait les grandes propriétés établies dans ses colonies. Alors que les gens qui vivaient sur ces territoires colonisés, que Piketty appelle les «indigènes», en étaient les esclaves. Ils sont devenus serviteurs, mais cette condition d’inégalité est ancrée tellement profondément dans leur mentalité que c’est toujours ce 1 % qui mène.

Bref, c’est le système qui fait défaut. Et par défaut, c’est le système colonial qui s’applique: la loi du plus fort.

Si l’État ne s’en mêle pas, tout est permis au 1 %.

Le Port de Québec, avec ses idées de grandeur et d’agrandissement, nous ramène à l’époque coloniale où la noblesse s’accaparait le pouvoir par la force, non pas militaire, mais par la crédibilité que l’on accordait à cette noblesse et le mépris qu’on avait pour ceux qui la servait. Ce système de valeur était le reflet d’un régime juridique fait sur mesure pour les colonisateurs.

Si on transpose cela dans le système des ports canadiens, il devient évident que la relation du gouvernement fédéral envers les ports s’établit dans un esprit de laisser faire bienveillant, car les administrations portuaires n’ont pas de patron. Et comme les lois maritimes placent les ports en compétition les uns contre les autres, comment choisir celui qui l’emportera en cas de demande d’agrandissement?

Sans compter que le droit est muet face à la gouvernance des ports: on s’en remet à un contrat qui fixe leur mandat, d’application très large à nos yeux.

Les ports s’en trouvent fort aise, sauf quand les administrations portuaires ont besoin de financement, pour maintenir ou refaire par exemple leurs infrastructures, car aucun fonds n’est amassé par les ports à cet effet. Un problème systémique qui souvent se résout en allant chercher des «investissements» à l’international, avec les risques inhérents aux conflits géopolitiques en cours.

Le 1 % de Québec

Ainsi, dans son projet d’agrandissement du Port de Québec, connu sous Projet Laurentia, l’Administration portuaire est soumise à des études d’impacts à être évalués par l’Agence d’évaluation d’impact, une institution fédérale qui n’a cependant que des pouvoirs consultatifs. Et comme il n’y a pas de devoir de réserve prescrit pendant l’étude d’impact des projets, le Port se donne le droit de continuer à avancer son projet publiquement, produire des vidéos pour mousser son projet et prendre des ententes pour le financer. Tout cela pendant que le processus de consultation publique est en cours. Il y a de quoi éroder la confiance des citoyens envers le respect qu’accorde le Port à cette institution fédérale. Les jeux semblent déjà faits, sans compter qu’il n’y a pas de ministre responsable devant le Parlement de l’administration des ports.

On se retrouve donc à l’intérieur d’un système mené par le plus fort qui ne protège pas les plus vulnérables, qu’ils soient humains ou espèces marines ou qu’il s’agisse de protéger un site emblématique.

Le Port se permet donc d’exercer un pouvoir qu’il se donne à lui-même en allant chercher l’appui des élu.e.s au niveau municipal et provincial un peu partout au Québec, lesquels deviennent les promoteurs du Port, alors que les citoyens s’attendent à ce que les élus puissent les représenter contre les plus forts.

En plus d’aller chercher l’appui des Chambres de commerce, de la rectrice de l’Université Laval et de certains départements de l’Université. Sans en avoir fait le calcul, si on additionne l’appui des élus, de l’Université et des Chambres de commerce, ceci commence à ressembler au pouvoir du 1 % contre les citoyens.

Un agrandissement du port réalisé en remplissant le fleuve est une proposition qui mérite plus qu’une simple procédure d’évaluation d’impact. Elle mérite l’implication directe du gouvernement fédéral, car le fleuve Saint-Laurent est un élément identitaire de notre patrimoine, un site historique au Canada.

Les citoyens arrivent à la conclusion que les arguments ne suffisent pas, il nous faut une révision de la manière dont les ports au Canada deviennent redevables envers la société canadienne, l’environnement et les espèces marines. Pour le moment, nous nous sentons démunis comme à l’époque coloniale où tout tenait entre les mains du 1 %.

Bref, tant que l’État ne s’en mêlera pas, on reproduira un système inégalitaire et colonial dans nos rapports avec les ports au Canada.

Solutions proposées:

  • Redistribuer la richesse entre les ports du Canada pour que ceux ci mettent «en commun» leur force et gèrent leurs faiblesses;
  • Revoir la gouvernance du système portuaire avec des limites accordées par le Parlement;
  • Nommer un ministre responsable devant le Parlement de l’administration des ports;
  • Instaurer un fonds payé par les usagers pour maintenir les infrastructures portuaires;
  • Créer un poste de Commissaire aux administrations portuaires comme instrument de surveillance et de contrôle des ports.

Un port est vulnérable, il se retrouve dans un espace géographique pour rivaliser avec les grandes puissances du monde et se faire la guerre, pour reprendre les termes de Yves Lacoste avec son titre culte paru en 1976 La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre.

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