Stéphanie Martin, Journal de Québec, publié le 16 novembre 2020
Le projet Laurentia du Port de Québec aura de multiples «effets environnementaux négatifs importants», conclut l’Agence d’évaluation d’impact du Canada dans un rapport préliminaire rendu public lundi.
«L’Agence est d’avis que le projet entraînerait des effets environnementaux résiduels négatifs importants directs et cumulatifs sur le poisson et son habitat, la qualité de l’air, la santé humaine, l’usage courant des terres et des ressources à des fins traditionnelles, plus particulièrement liés à la pêche [et] les conditions socioéconomiques liées à la pêche récréative et commerciale.»
On peut lire cette conclusion tranchée dans le rapport préliminaire de 311 pages publié lundi. Le document porte sur le projet de terminal de conteneurs que caresse le Port de Québec et qui a reçu l’appui du maire de Québec, Régis Labeaume, et du gouvernement de François Legault. Des conclusions que conteste l’Administration portuaire de Québec (APQ).
Lundi, M. Labeaume maintenait son appui à Laurentia «jusqu’à nouvel ordre». Il reconnaissait ne pas avoir lu le rapport.
«Je continue à appuyer le projet, à moins que le rapport dont vous me parlez soit très clair, a-t-il mentionné lundi en début de soirée. Ma vision est qu’il n’y ait plus éventuellement de transbordement de vrac sur les quais.»
Fait assez rare pour être noté, le maire a révélé que deux conseillères municipales de son équipe – Suzanne Verreault et Geneviève Hamelin – allaient s’opposer publiquement au projet du Port de Québec. «On s’est dit qu’on faisait ça en toute amitié et que dans Équipe Labeaume, on n’est pas tous obligés de penser pareil», a expliqué Régis Labeaume.
L’Agence note plusieurs problèmes en lien avec le projet. Elle note que Laurentia s’insère dans un environnement urbain déjà densément peuplé. Elle s’inquiète de la qualité de l’air. «La contribution supplémentaire du projet dans un milieu où la qualité de l’air est déjà fortement affectée […] serait susceptible d’entraîner une détérioration importante de la qualité de l’air dans les quartiers résidentiels et les lieux publics environnants.»
Ces constats l’amènent à déduire que «le projet pourrait causer des risques importants sur la santé
On soutient également que le transport routier et ferroviaire contribuera à détériorer la qualité de l’air.
Bar rayé
L’Agence souligne que le projet se réalise dans un milieu aquatique du Saint-Laurent qui «est particulièrement sensible, complexe et rare» et qui abrite plusieurs espèces de poissons et d’invertébrés, dont le bar rayé, l’esturgeon noir, l’esturgeon jaune, l’alose savoureuse, l’éperlan arc-en-ciel et l’obovarie olivâtre. «Le projet détruirait l’un des deux seuls habitats de reproduction identifiés à ce jour du bar rayé, population du fleuve Saint-Laurent.»
Il faut encore trancher sur le statut de cette dernière espèce. L’Agence prévient que le projet ne peut pas obtenir de permis en ce moment puisqu’elle figure toujours sur la liste des espèces en péril. La question ne sera pas tranchée avant plusieurs mois, soit avant 2022. Le Port entrevoit de débuter la construction en 2021.
Les impacts sur les espèces de poissons et d’oiseaux auront également des conséquences sur les usages courants des autochtones, notamment sur leurs activités de chasse et de pêche.
Le Port réplique
Le Port a répliqué en fin de journée avec une déclaration dans laquelle il affirme que «le rapport ne semble pas tenir compte en sus des nombreuses propositions de projets et de mesures soumises par le Port de Québec afin de limiter ou compenser certains impacts du projet Laurentia sur l’environnement».
«Nous ne partageons pas plusieurs des observations, poursuit l’APQ, notamment celles qui ont trait aux impacts du projet sur l’habitat marin.»
Consultations
Le Port a l’intention de se faire entendre lors des consultations à venir.
En effet, ce rapport est une version préliminaire et sera soumis à la consultation publique pendant 30 jours, jusqu’au 16 décembre. Les promoteurs du projet et les opposants pourront ainsi se faire entendre.
L’Agence analysera les résultats de ces débats et remettra ses recommandations finales au ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson. Si ce dernier juge que les effets négatifs sont importants, il soumettra sa décision au Conseil des ministres, qui devra trancher s’ils sont justifiables. Si c’est le cas, le ministre de l’Environnement fixera les conditions d’exécution du projet. «Les conditions énoncées par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique seraient juridiquement contraignantes pour le promoteur.»
Rousseau rejette le projet
Le conseiller de Démocratie Québec, Jean Rousseau, affirme qu’il ne peut appuyer ce projet. «Ce rapport nous indique qu’on est rendu à saturation en termes de développement industriel, mais aussi à saturation en termes de pollution. On va ajouter une surpollution à un quartier qui est déjà durement affecté», a-t-il exprimé. Il estime que les mesures d’atténuation que promet le Port ne changeront rien à la donne.
Pour Simon Parent, porte-parole de la Table citoyenne Littoral Est, qui regroupe plusieurs conseils de quartier du secteur et deux associations étudiantes de l’Université Laval, l’appui donné au projet par les politiciens était prématuré. «C’est quand même rassurant de voir ce rapport-là sortir aujourd’hui. François Legault et Régis Labeaume mettaient de la pression sur le fédéral. Jean-Yves Duclos a dit: «Attendez, il y a un processus environnemental en cours, on ne va pas en faire fi.» On dirait que c’est effectivement ce que Labeaume et Legault demandaient.»
M. Parent se réjouit que l’Agence ait pris en considération les inquiétudes des citoyens sur la destruction des écosystèmes, la menace sur les habitats, notamment du bar rayé, et l’impact sur la qualité de l’air dans les quartiers centraux. «Ce sont des points vraiment préoccupants.»
Financement
Les groupes formant la coalition SOS Port de Québec ont, quant à eux, l’intention de faire pression pour que Laurentia ne reçoive ni autorisation ni confirmation de financement, à la lumière des conclusions du rapport.
«En pleine période de déficits anticipés rendant hypothétiques les efforts de relance économique, nous devons faire des choix pour [nous] assurer que l’argent public va au bon endroit. Pourquoi investir près de 200 M$ de notre argent pour favoriser le passage de marchandises étrangères sur notre territoire, alors que les appels à acheter local pour relancer l’économie se font entendre partout au Québec?» se questionne Pierre-Paul Sénéchal du GIRAM (Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu).
«Avant même les conclusions de l’Agence, les appels de Mario Girard laissaient entendre que ce projet improvisé n’est pas viable économiquement sans participation des gouvernements. Avec les lacunes exposées aujourd’hui, il est clair que Laurentia va devenir un gouffre de centaines de millions de dollars en fonds publics», a ajouté Véronique Lalande de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec. SOS Port de Québec regroupe Nature Québec, Accès Saint-Laurent-Beauport, GIRAM, l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, Équiterre et Transition Capitale-Nationale.
Duclos attend des réponses
Le député fédéral de Québec et président du Conseil du Trésor du Canada, Jean-Yves Duclos, a dit s’attendre à obtenir des réponses à des questions que soulève le rapport. «Depuis le tout début, je répète qu’il est important de faire les choses dans l’ordre et dans le respect de l’indépendance et de la rigueur du processus en place. La publication du rapport préliminaire de l’Agence d’évaluation d’impact permet à tous les intervenants intéressés de faire valoir leurs points de vue avant la production du rapport final. Le rapport préliminaire soulève d’importantes questions qui devront trouver réponse. Nous le disons depuis le jour 1, en 2020, l’environnement, ce n’est pas un détail ou une distraction et ce projet, comme tous les autres de cette nature, doit passer le test de l’évaluation environnementale», a-t-il exprimé dans une déclaration écrite transmise par son cabinet.
Des réactions
« C’est évident que l’acceptabilité sociale n’est pas au rendez-vous, on le sent, et au niveau environnemental, ça ne rejoint pas mes valeurs à ce moment-ci. […] Monsieur le maire défend un projet économique. Moi, je surveille un projet au niveau environnemental. » –Suzanne Verreault, conseillère municipale d’Équipe Labeaume pour le district de Limoilou
« Le rapport préliminaire soulève d’importantes questions qui devront trouver réponse. » –Jean-Yves Duclos, député fédéral de Québec et président du Conseil du Trésor
« Avec les lacunes exposées aujourd’hui, il est clair que Laurentia va devenir un gouffre de centaines de millions de dollars en fonds publics. » –Véronique Lalande, de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec
– Avec la collaboration de Taïeb Moalla