Keven Imbeault, président de la CADEUL
POINT DE VUE
Le Soleil, publié le 10 novembre 2020
Nous avons bien pris connaissance de la lettre partagée par Mme Geneviève Guilbault, vice-première ministre du Québec et ministre responsable de la Capitale-Nationale, dans les médias en début de semaine, et de son appui au projet Laurentia du port de Québec.
Dans les derniers jours, les étudiantes et étudiants de l’Université Laval ont fait connaître leur opposition au projet, ainsi que les préoccupations qui les animent. Celles-ci et ceux-ci trouvent cependant dans les mots de la ministre plus de raisons de s’inquiéter que de se rassurer.
Tout d’abord, Mme Guilbault mentionne dans sa lettre à quel point le projet est vert. Cet argument, martelé depuis plusieurs semaines, rate cependant la cible. En effet, les études environnementales se penchent sur les impacts qu’aura la construction elle-même sur les écosystèmes. En réponse, on brandit systématiquement l’électrification du projet. Or, celle-ci n’est malheureusement pas gage d’écoresponsabilité, et cette tentative répétée de dévier la question soulève encore plus de frustration.
Un autre élément sur lequel les réponses sont insatisfaisantes est l’impact qu’aura l’agrandissement du port sur les résidentes et résidents des secteurs avoisinants. Plusieurs voix se sont levées pour dénoncer une hausse du trafic de véhicules, qui émettront bruits et pollution là où des personnes vivent. D’ailleurs, il est irrégulier de voir un projet d’agrandissement de port aussi près d’un centre urbain en 2020. Par exemple, à Montréal, l’administration portuaire a choisi de bâtir le port à Contrecoeur, loin des zones avec une plus haute densité de population.
L’an dernier, le port de Halifax a aussi reconnu cette problématique lors de ses rénovations, s’engageant même à chercher des solutions pour réduire le trafic causé dans la ville. Cette réflexion semble cependant totalement écartée par le projet Laurentia.
Il est d’ailleurs des plus inquiétant de voir la volonté qu’ont différents paliers de gouvernement à aller le plus vite possible avec ce projet, alors que plusieurs études d’impact ne sont pas encore terminées. Dans sa lettre, Mme Guilbault dit même, pour les décrire, que «la réalisation [du projet Laurentia] dépend de processus qui tardent à aboutir.» Cette affirmation manque de respect envers les chercheuses et chercheurs qui étudient ce projet. Après de longues années consacrées à l’atteinte d’une expertise dans leur domaine respectif, leur donner le temps de travailler avec la rigueur qu’elles et ils s’imposent est un minimum. Ces valeurs qui sont les leurs sont aussi partagées par le milieu universitaire, et l’attitude qu’ont les gouvernements à les ignorer ajoute à la frustration.
Il est d’autant plus décevant de constater l’implication de l’Université Laval dans ce projet. Il y a de cela un peu plus d’un mois, Mme D’Amours, rectrice de l’Université Laval, nous indiquait que la présence de l’institution «serait en mesure d’apporter un éclairage scientifique de premier plan». Cependant, nous croyons que l’Université Laval envoie le signal inverse, en restant associée sans rien dire à un projet dont les promoteurs font fi de la rigueur qui est la sienne.
Nous souhaiterions mentionner à cette institution, qui est la nôtre, qu’il n’est jamais trop tard pour faire mieux, et que nous préférerions de loin la voir revenir sur ses pas, que de continuer dans un chemin qui ne respecte pas les valeurs qu’elle porte.
La ministre terminait sa lettre en indiquant que l’ambition doit devenir notre marque de commerce au Québec. En réponse, la présente se conclura en invitant le Québec à encore plus d’ambition. L’ambition de porter nos valeurs environnementales jusqu’au bout. L’ambition d’inclure dans nos décisions une rigueur scientifique qui inspirera la jeunesse. L’ambition de nous sortir des façons de faire des dernières décennies, lorsque l’environnement n’était pas au cœur de nos réflexions. Poursuivre avec le projet Laurentia, qui ne se conforme pas à nos attentes, manque définitivement d’ambition. Le Québec mérite de créer la richesse sans compromettre ses valeurs.
La CADEUL est la Confédération des associations d’étudiants et d’étudiantes de l’Université Laval