L’arrêt de mort d’un beau projet

François Bourque, Le Soleil, publié le 5 décembre 2019

CHRONIQUE / L’intéressant projet urbain qui visait à prolonger l’avenue D’Estimauville jusqu’à la plage de la baie de Beauport sera définitivement compromis par l’arrivée du terminal de conteneurs du Port de Québec.

Les trains qui desserviront ce terminal seront assemblés dans la cour de triage de la batture de Beauport, ce qui va en consacrer pour de bon la vocation ferroviaire.

Il deviendra dès lors pratiquement impossible de réduire cette cour de triage pour faciliter le passage d’une nouvelle voie de circulation vers la plage.

Cela va à l’encontre du Programme particulier d’urbanisme D’Estimauville adopté par la Ville en 2016. Le PPU (article 4.5.1) recommandait ceci :

«Poursuivre les négociations avec la CCNQ [Commission de la capitale nationale du Québec] et le MTQ [ministère des Transports] pour aménager dans le prolongement de l’avenue D’Estimauville une voie d’accès automobile, piétonne et cyclable vers la baie de Beauport et le littoral».

L’administration Labeaume, qui appuie le projet de terminal de conteneurs, semble avoir renoncé à ce nouveau lien. Et à ce chapitre de son PPU.

Ce n’est plus dans les cartons, reconnaît la conseillère du district Limoilou et membre du Comité exécutif, Suzanne Verreault.

Le Conseil de quartier Maizeret n’a cependant pas dit son dernier mot et «envisage» se mobiliser sur l’enjeu du lien entre D’Estimauville et la plage.

Les membres du conseil sont «unanimes à reconnaître l’importance d’un lien qui permettrait l’accès au fleuve et plus particulièrement aux battures de Beauport», rapporte son président, Martial Van Neste.

L’idée d’un nouveau lien entre l’avenue D’Estimauville et la plage de la baie de Beauport est née au milieu des années 2000, poussée à la fois par la Ville et par le Port de Québec.

Au lendemain du 11 septembre, le Port cherchait à sécuriser ses activités, d’où l’hypothèse d’un accès pour les citoyens séparé de celui pour ses opérations industrielles et portuaires.

La Ville y voyait pour sa part un potentiel récréotouristique et un outil de relance distinctif pour le futur quartier D’Estimauville. Cette idée trouve aujourd’hui encore pleinement son sens avec l’émergence de l’écoquartier D’Estimauville.

Le ministère des Transports du Québec et la Ville s’étaient entendus au milieu de la décennie 2000, pour partager la facture du prolongement de D’Estimauville en direction de la plage (10 millions $).

À l’origine, on avait en tête l’échéance des fêtes du 400e. La Commission de la capitale nationale avait été associée au projet dans le contexte du prolongement de la promenade Samuel-De Champlain.

«On sait qu’il faut déplacer des voies ferrées. Mais on ignore encore s’il faudra déplacer au complet la gare de triage», avait alors indiqué le responsable des transports à la Ville de Québec.

La Ville était consciente qu’un déplacement de la cour de triage risquait de faire augmenter la facture, mais ça ne semblait pas alors être un empêchement.

«Le CN doit réaménager ses voies ferrées dans le secteur pour faire place au projet du ministère des Transports de relier le boulevard D’Estimauville à la baie de Beauport», avait écrit Le Soleil au début de l’été 2009.

Les travaux devaient débuter à l’automne suivant et impliquaient que le CN raccourcisse ses rails de 800 mètres, dans la partie nord de sa gare de triage, afin de permettre le passage de la nouvelle voie de circulation.

Le projet n’était cependant pas mûr encore et n’a jamais été mis en chantier. Je n’ai pas retracé de motifs officiels, mais on peut penser que les discussions avec le CN y ont été pour beaucoup.

L’intérêt du Port a aussi fini par s’émousser en cours de route. L’argument de la sécurité n’a plus semblé aussi important et les visées d’agrandissement ont pris le dessus.

À l’automne 2010, le conseiller municipal François Picard avait lancé la serviette. «La gare de triage est là pour rester. Les activités au port ne diminueront pas, au contraire elles continuent de s’accroître», prédisait-il.

Le projet n’était cependant pas complètement disparu des radars. En 2011, le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Sam Hamad, a réitéré son intérêt.

Le meilleur accès à la baie de Beauport demeure l’axe D’Estimauville, disait-il croire, avec raison. M. Hamad avait alors parlé de «négociations importantes» à faire avec le Canadien National.

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Le projet de terminal de conteneurs va probablement sonner le glas de ce qui aurait pu devenir un lien privilégié de la ville avec son fleuve. L’attractivité du quartier D’Estimauville s’en serait trouvée améliorée.

Il va de soi qu’un port a besoin de voies ferrées et d’espaces de triage. Dans ce cas-ci, les wagons seront acheminés aux voies de triage par une voie de service en provenance du futur quai de conteneurs.

D’un point de vue urbain, c’est autre chose. La Ville gagnerait à déplacer cette cour de triage plutôt qu’à en figer la localisation et probablement en accroître les capacités. Je vais vous revenir sur cette question du nombre de trains, de wagons et de camions dans une prochaine chronique.

«Cela [cour de triage] brise toute possibilité de lien et de connexion d’envergure avec la baie de Beauport», déplore l’architecte et designer urbain Érick Rivard, très impliqué dans la vie du quartier Limoilou.

«C’est une chasse gardée. Aujourd’hui, on ne ferait jamais une cour de triage qui se projette dans la batture», croit-il.

Dans un monde idéal, l’avenue D’Estimauville serait prolongée «au niveau du sol» vers la baie de Beauport, expose M. Rivard.

À défaut, il faudra peut-être imaginer autre chose, suggère-t-il. Passer par-dessus la cour de triage par exemple, voire par-dessus l’autoroute Dufferin-Montmorency pour atteindre la batture.

Il donne l’exemple du Olympik Park de Seattle, qui descend de la ville vers l’eau en enjambant un large boulevard et deux voies ferrées. Ce parc, semé d’œuvres d’art, est spectaculaire. Vous irez voir les images dans Internet.

Mais, si on a manqué de volonté pour déplacer quelques centaines de mètres de voies ferrées de garage, je ne vois pas comment un projet d’une telle envergure pourrait devenir une priorité pouvant justifier un financement public.

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