Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 5 décembre 2019
Même s’il assure que la protection de l’environnement est « une priorité absolue » dans le cadre du mégaprojet d’expansion du Port de Montréal à Contrecoeur, le gouvernement Trudeau a décidé de ne pas attendre la fin de l’étude environnementale, ni même le dépôt d’une étude d’impact complète, avant de promettre 300 millions de dollars de fonds publics pour la construction de ce nouveau terminal industriel.
Illustration que le gouvernement Trudeau appuie sans réserve ce projet, qui a pourtant soulevé plusieurs questions environnementales de la part d’experts de différents ministères, le président-directeur général de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), Pierre Lavallée, a offert mercredi une pelle ornée d’un ruban à la présidente-directrice générale du Port de Montréal, Sylvie Vachon.
« Je vous donne un petit cadeau avec une seule condition, c’est que dans un avenir assez rapproché, nous l’utilisions ensemble pour lancer le chantier à Contrecoeur », a dit M. Lavallée, en présentant cette pelle destinée à la première pelletée de terre du futur terminal d’au moins 750 millions de dollars où transiteront chaque année jusqu’à 1,1 million de conteneurs.
La promesse de financement de 300 millions de dollars vient justement de la BIC, une société d’État fédérale qui est directement sous la responsabilité de la nouvelle ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, Catherine McKenna, qui a été pendant quatre ans ministre de l’Environnement.
Cette dernière n’était pas présente à l’annonce mercredi, mais elle était représentée par le ministre des Transports, Marc Garneau. « Pour que ce projet soit bénéfique pour les générations à venir, nous veillerons à ce que tout au long de sa réalisation, la protection de l’environnement soit une priorité absolue. Nous savons que les infrastructures durables aident à protéger les Canadiens contre les conséquences du changement climatique », a-t-il affirmé.
Cet engagement d’Ottawa intervient alors que l’examen environnemental du projet portuaire n’est toujours pas complété. En fait, malgré près de quatre années de démarches, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) n’a pas encore pu franchir l’étape du dépôt, par le Port de Montréal, d’une étude d’impact jugée complète. C’est ce dépôt qui déclenche l’évaluation réalisée par l’ACEE, étape incontournable avant la « prise de décision » du gouvernement.
Uniquement cette année, l’ACEE a fait parvenir à cinq reprises des demandes d’informations additionnelles et de « clarifications » au Port de Montréal. Ces demandes découlent en partie de constats d’experts de ministères fédéraux et du Québec.
Le 21 novembre dernier, l’ACEE a ainsi souligné de nouveau le caractère incomplet de l’analyse des impacts pour différents aspects du projet, dont le chevalier cuivré, un poisson « en voie de disparition » et qui n’existe, dans le monde, que dans un petit tronçon du fleuve Saint-Laurent. Le promoteur aurait mal évalué les « pertes » pour l’« habitat essentiel » de cette espèce, que le fédéral a l’obligation légale de protéger. Cet enjeu est d’autant plus important que cet habitat sera en partie détruit par la construction d’un quai de plus de 650 mètres, mais aussi par le dragage d’au moins 750 000 mètres cubes de sédiments.
L’ACEE demande également au Port de Montréal de mieux évaluer les « effets cumulatifs » de son projet sur la rainette faux-grillon, puisque cette espèce « en voie de disparition » est protégée par les lois fédérales. Dans ce cas, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques demande par ailleurs au promoteur de développer des mesures pour mieux protéger ce petit amphibien, qui risque de subir les contrecoups des travaux de construction du terminal, mais aussi du passage quotidien d’au moins 1200 camions transportant des conteneurs.
L’ACEE réclame aussi une évaluation des options de « rechange » à l’implantation du port à cet endroit, des précisions sur les impacts du camionnage intensif et une modélisation des risques liés à un important déversement de carburant dans le Saint-Laurent en période hivernale.
Le Port de Montréal se veut toutefois rassurant. « Il s’agit du processus normal de l’Agence de demander des précisions », a-t-on souligné mercredi. « Le port a pris toutes les dispositions pour s’assurer que son projet ne touche pas à l’habitat essentiel de la rainette faux-grillon », a-t-on précisé.
« Illégale »
Est-ce que le gouvernement Trudeau outrepasse le processus environnemental en accordant un soutien indéfectible au Port de Montréal ? « L’évaluation environnementale est bien avancée et nous voulons aider le projet en permettant à certaines activités, comme le financement et la planification, de procéder. Mais c’est sûr que le résultat final de l’évaluation par l’Agence sera un facteur déterminant », a répondu Marc Garneau.
« Il y a certaines espèces à risque. Ce sera pris en considération dans l’évaluation », a-t-il ajouté, en précisant que le gouvernement avait adopté le projet de loi C-69 pour bonifier les évaluations environnementales. Il faut toutefois préciser que le projet de Contrecoeur est évalué en vertu d’une loi adoptée en 2012 par les conservateurs de Stephen Harper.
« C’est insultant de voir le gouvernement canadien sauter des étapes, mais aussi de voir à quel point il bafoue la Loi sur les espèces en péril », a répliqué le directeur de la Société pour la nature et les parcs Québec (SNAP), Alain Branchaud.
Il cite en exemple le cas du chevalier cuivré. En vertu de la Loi sur les espèces en péril, le fédéral aurait dû, dès décembre 2012, « activer les mesures de protection de l’habitat essentiel », qui comprend précisément le secteur du futur port. « Cela fait sept ans que le gouvernement bafoue sa propre loi dans le dossier du chevalier cuivré. S’il n’agit pas pour une espèce endémique en voie de disparition, il perd toute crédibilité en matière de protection de la biodiversité. »
La SNAP n’exclut d’ailleurs pas d’intenter des « recours juridiques » afin de forcer le gouvernement fédéral à respecter sa propre législation, jugeant qu’il agit de façon « illégale ».
Le spécialiste en écotoxicologie Émilien Pelletier et le professeur du Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières Gilbert Cabana soulignent par ailleurs qu’il existe « des risques réels de remise en circulation de contaminants » lors du dragage des sédiments.