Si on poussait le rêve un peu plus loin

François Bourque, Le Soleil, publié le 5 février 2019

CHRONIQUE / Les terrains industriels dévitalisés ou en fin de vie du secteur de l’estuaire de la rivière Saint-Charles offrent à Québec l’occasion de se projeter avec audace dans le nouveau siècle.

Il y a là, à la rencontre de la rivière, du fleuve et du centre-ville historique, un potentiel urbain insoupçonné. Une possibilité de transformer ceno man’s land ingrat et lourdement contaminé en un quartier exemplaire pour vivre et travailler.

L’administration Labeaume vient de franchir un premier pas intéressant avec cette idée d’un «Littoral Est» consacré à l’innovation et à l’incubation d’entreprises des sciences de la vie et des technologies vertes.

Cette vision est encore embryonnaire, un peu timide, et très centrée sur l’argumentaire économique, mais elle a le mérite de lancer une réflexion pertinente.

On note aussi l’habileté de l’administration à vouloir inscrire ce projet de rénovation urbaine dans le Projet Saint-Laurent de François Legault.

Cela fera plaisir au chef du nouveau gouvernement dont le livre-essai Cap sur un Québec gagnant : le Projet Saint-Laurentlancé en 2013, n’avait pas en à ce jour un gros tirant d’eau. Que la capitale s’intéresse au bébé du premier ministre sera bien vu j’imagine.

De façon plus prosaïque, l’administration Labeaume a vu dans ce Projet Saint-Laurent une possibilité d’obtenir de l’aide pour financer la décontamination de terrains qui rapporteront un jour des taxes à la ville.

C’est de toute façon une bonne idée d’essayer de récupérer des terrains sous-utilisés du centre-ville. Ceux-ci sont faciles à desservir par les services publics et cela évite d’aller empiéter sur des espaces de la périphérie.

Là où j’ai plus de misère à suivre, c’est lorsque la Ville célèbre le projet d’agrandissement du Port et en fait un des moteurs du «Littoral Est».

On dit vouloir tourner la page sur la vocation industrielle du secteur mais on renforce cette vocation par le prolongement d’un quai susceptible d’accroître les activités de transbordement.

Si le Port gagne son pari et trouve un jour des clients pour son projet, il y aura davantage de transport de marchandise dans le quartier. Ce n’est pas très cohérent ni compatible avec l’objectif d’un développement vert pour le secteur.

Sans parler de l’impact de ces nouvelles activités portuaires sur la baie de Beauport.

La Ville souhaite prolonger la promenade Samuel-De Champlain vers l’Est pour redonner aux citoyens l’accès au fleuve. Mais elle appuie un projet qui va restreindre l’accès au paysage du fleuve et de la ville depuis la plage de la batture.

Cela non plus n’est pas très cohérent ni compatible avec l’objectif qu’on dit poursuivre.

Il faut retourner aux récents travaux de fin d’étude de deux étudiants de l’Université Laval, Charles Gosselin-Giguère et Simon Parent, pour prendre toute la mesure du potentiel (et de la timidité) du concept de «Littoral Est» lancé par la Ville.

Ces étudiants à la «double maîtrise» en architecture et design urbain ont développé l’automne dernier une vision de transformation urbaine qui cible ce même secteur industriel de Limoilou et de l’embouchure de la rivière Saint-Charles.

Le Soleil y avait alors fait écho.

L’intention est de répondre à «l’urgence» des changements climatiques» par une vision d’aménagement à long terme sur 50 ans. Les auteurs ont ainsi dessiné un nouveau quartier qu’ils ont baptisé «Stadaconé», du nom de l’ancien village iroquoien. Plus de détails à www.quebecresilient.com

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Le projet «Québec, ville résiliente» repose sur quelques prémisses que beaucoup de citoyens estimeront irréalistes ou non souhaitables, mais qui au plan urbain, n’ont rien d’une hérésie.

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1- La disparition de la papetière White Birch dont le panache de fumée est aussi intimement associé à l’horizon de Québec que les immeubles de la haute ville.

Ce n’est peut-être pas pour tout de suite, mais ça va arriver. Le propriétaire avait d’ailleurs annoncé la fermeture à l’hiver 2012, avant de se raviser. Sans doute visait-il alors à faire pression sur le syndicat, mais le déclin du papier finira par venir à bout de l’usine.

Plusieurs terrains et bassins de la White Birch sont déjà inutilisés. Le jour où la papetière va fermer, c’est un terrain deux fois grand comme l’anneau des Plaines qui deviendra disponible.

Dans le scénario des étudiants, seul le bâtiment principal en briques rouges, dont l’architecture est magnifique, serait conservé à des fins publiques.

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2- Le déménagement de l’incinérateur du boulevard Montmorency vers le secteur industriel de la batture de Beauport où il pourrait voisiner par exemple la future usine de biométhanisation.

Cela aurait l’intérêt d’éloigner les retombée de poussière des rues résidentielles de Limoilou.

Dans un monde idéal, on pourrait imaginer qu’il n’y ait plus besoin un jour d’incinérateur lorsque tous les déchets seront éliminés à la source, recyclés ou transformés en gaz.

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3- La transformation de l’autoroute Dufferin-Montmorency en boulevard urbain à l’entrée de Limoilou. Cela impliquerait le démantèlement de la portion aérienne de l’autoroute, qui coupe la basse ville.

Le boulevard traverserait le nouveau quartier en diagonale, dans le même axe que le chemin de la Canardière un peu plus au nord. L’accès au boulevard Charest et éventuellement à la haute ville se ferait par le boulevard Jean-Lesage.

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4- La fermeture ou le déménagement de l’ensemble des autres activités industrielles et manufacturières du secteur. Un peu comme Québec est en train de le faire pour l’écoquartier de la Pointe-aux-Lièvres.

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Utopique, cette vision d’un nouveau quartier d’habitation avec des parcs et des espaces publics?

Peut-être pas tant que ça.

Dans leur travaux, les étudiants ont été suivis par un jury de praticiens dont faisait partie Charles Marceau, responsable des grands projets à la Ville de Québec.

M. Marceau s’était alors montré très enthousiaste, assure Charles Gosselin-Giguère. J’aurais aimé valider directement auprès de M. Marceau, mais à défaut, je prends la parole de l’ex-étudiant.

Difficile de dire dans quelle mesure le projet des étudiants a inspiré la Ville. M. Gosselin-Giguère se réjouit d’y retrouver plusieurs idées. Celle de la «faisabilité économique» de récupérer les anciens terrains industriels, par exemple. Ou le lien avec le Projet Saint-Laurent.

Les étudiants avaient d’ailleurs cité cet extrait du livre de M. Legault : «Ces zones doivent devenir des modèles d’aménagement durable et moderne dans lesquels on pourra travailler et vivre».

L’objectif est clair. Reste à passer de la parole aux actes. La Ville a fait un premier pas. On peut cependant aller beaucoup plus loin et avec davantage d’audace.

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