David Rémillard, Radio-Canada, publié le 28 septembre 2018
Le Québec pourrait perdre de son pouvoir sur l’entreprise privée et s’affaiblir face à Ottawa s’il devait perdre la bataille judiciaire qu’il livre depuis 2008 contre une entreprise installée au port de Québec, qui refuse d’appliquer les lois environnementales de la province.
C’est du moins ce que craint le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), qui sautera dans la mêlée en Cour d’appel, en décembre prochain.
L’affaire n’a pas fait grand bruit. Pourtant, elle pourrait avoir des conséquences majeures sur la suite du développement du port, y compris l’agrandissement prévu au projet Beauport 2020.
L’entreprise IMTT-Québec, spécialisée dans le transbordement de vrac liquide, principalement des produits chimiques ou pétroliers, a refusé de se soumettre à la Loi sur la qualité de l’environnement lors de la construction de sept réservoirs, en 2007-2008. Elle en gère actuellement une cinquantaine dans le secteur de Beauport.
Malgré un avis d’infraction du ministère québécois de l’Environnement et une demande d’injonction déposée en 2008 par le Procureur général du Québec, l’entreprise n’a pas demandé de certificat d’autorisation.
L’affaire est devant les tribunaux depuis 2012, quand IMTT-Québec a contre-attaqué avec sa propre requête en jugement déclaratoire, conjointement avec le Port de Québec et le gouvernement du Canada. Elle vise à faire reconnaître l’exclusivité de la juridiction fédérale sur les terrains du port.
La province a perdu la première manche en 2016. Le juge de la Cour supérieure, Gilles Blanchet, a déterminé que les lois québécoises étaient inapplicables au port de Québec.
La décision que va rendre la Cour d’appel est cruciale pour l’application du droit de l’environnement à des entreprises privées qui œuvrent dans des domaines de compétence fédérale.
Un dangereux précédent
Le Centre québécois du droit de l’environnement y voit un danger si le jugement est confirmé par la Cour d’appel. L’organisme a obtenu le statut d’intervenant pour appuyer le Procureur général du Québec lors des audiences qui se tiendront à compter du 17 décembre. Le rôle du CQDE sera d’offrir un éclairage constitutionnel au tribunal.
« Si la cour déboute le gouvernement du Québec et disait que la Loi sur la qualité de l’environnement ne s’applique pas, c’est sûr que ce jugement-là donnerait des munitions aux entreprises privées dans d’autres domaines de transport fédéraux et au Procureur général du Canada pour contester l’application d’autres lois provinciales », résume David Robitaille, constitutionnaliste et professeur à l’Université d’Ottawa.
Selon M. Robitaille, qui plaidera pour le CQDE, il deviendrait plus difficile pour des instances provinciales ou municipales de contester des projets maritimes, ferroviaires ou aéroportuaires. Le jugement pourrait même être utilisé ailleurs au pays et compromettre d’autres leviers législatifs.
Il semble, selon lui, que « l’intérêt économique national » ait eu plus de poids en Cour supérieure que le respect de la compétence des provinces, historiquement partagée entre les deux ordres de gouvernement en matière d’environnement.
À son avis, les lois environnementales québécoises sont « complémentaires » et ne viennent pas contredire la législation canadienne.
Prépondérance fédérale
Dans le jugement de 2016, le juge Blanchet considère que la province possède un certain droit de vie ou de mort sur les projets de développement économique en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement, ce qui lui semble déraisonnable.
Il évoque « les nombreuses dispositions qui confèrent au ministre [provincial] un pouvoir discrétionnaire quasi absolu sur la recevabilité et l’acceptabilité de tout projet susceptible d’avoir un impact environnemental quelconque ».
Il y voit un « conflit d’intention » entre les lois du Québec et d’Ottawa, dont la Loi maritime du Canada.
« On peut penser que jamais un projet d’importance ne serait ainsi rejeté pour des motifs purement capricieux », concède le juge.
Mais, poursuit-il, « l’incertitude, les délais et la perspective d’un refus éventuel demeurent totalement incompatibles avec l’intention clairement exprimée du Parlement [d’Ottawa] de se réserver le dernier mot advenant conflit sur toute question touchant le réseau portuaire en ce pays ».
Le Québec combatif
M. Robitaille défendra ses arguments en compagnie de l’avocat Michel Bélanger, cofondateur du CQDE. Ce dernier a représenté les groupes écologistes ayant livré bataille à TransCanada lorsque l’entreprise projetait de construire un terminal pétrolier à Cacouna, projet aujourd’hui abandonné.
Selon Me Bélanger, le débat sur l’application des lois environnementales québécoises aux installations portuaires n’a jamais vraiment été tranché, d’où l’importance du litige avec IMTT-Québec. Il souligne au passage la combativité de Québec dans ce dossier.
Le Procureur général du Québec et le Port de Québec ont préféré ne pas commenter le litige.