Jean-Philippe Robillard, Radio-Canada, publié le 17 août 2018
Alors que les navires sont de plus en plus gros dans l’industrie maritime, plusieurs ports de la côte est des États-Unis ont massivement investi pour agrandir leurs infrastructures. Ils représentent une menace croissante pour le port de Montréal, qui pourrait voir son trafic s’évaporer au cours des prochaines années.
Chaque jour, au port de Montréal, plus de 2000 conteneurs sont transbordés. La marchandise qui arrive est destinée en grande partie au Québec et à l’Ontario, mais également au Midwest américain, un immense marché que convoitent les joueurs de la côte est.
Sur le Midwest américain, la concurrence est énorme.
Depuis quelques années, la taille des navires n’a cessé d’augmenter. Une tendance qui s’est accrue avec l’élargissement du canal de Panama et qui est motivée par les économies que peuvent réaliser les compagnies maritimes. Présentement, plusieurs de ces navires de grande dimension, dont des porte-conteneurs, ne peuvent voyager jusqu’à Montréal, car la voie maritime du Saint-Laurent n’est pas assez profonde entre Québec et la métropole.
Certains ports de la côte est des États-Unis ont investi massivement pour draguer et améliorer leurs infrastructures afin de permettre à ces gros bateaux d’accoster à leurs quais. Ils y voient une occasion en or de prendre une partie du marché des conteneurs qui transitent par Montréal. Le vice-président stratégie du port de Montréal, Serge Auclair, dit sentir de plus en plus la concurrence de ports américains comme Virginia et Baltimore.
Le Midwest, même pour un port comme New York, c’est un peu la cerise sur le sundae, dans le sens où ça ajoute à un marché local important.
Certains ports de la côte est américaine, dont New York, sont capables d’accueillir des navires transportant plus de 10 000 conteneurs, beaucoup plus qu’au port de Montréal, qui peut accueillir des bateaux ayant une capacité maximale de 6000 conteneurs.
Une menace bien réelle
La PDG de la Société de développement économique du Saint-Laurent, Nicole Trépanier, affirme que la menace provenant des ports de la côte est est bien réelle. « Ils ont augmenté la profondeur de l’eau dans les ports comme New York-New Jersey. En conséquence, ils sont capables d’accueillir des navires qui sont de plus fort tonnage […] Si on est capable du côté des États-Unis de répondre à cette demande, il est possible que les lignes maritimes aient envie d’aller ailleurs. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis 10 ans, le volume de conteneurs a augmenté de 36 % en Virginie et de 27 % à New York. Au cours de la même période, la croissance a été de 4,3 % à Montréal.
Pour le professeur et expert en affaires maritimes Jean-Paul Rodrigue, de l’Université Hofstra, la situation est préoccupante. « Le risque qui pourrait se manifester au cours des 5, 10, 15 prochaines années, [c’est que] certaines compagnies maritimes décident d’abandonner certains services vers Montréal, et que le trafic qui entre dans l’Ontario et dans le Midwest américain passe de plus en plus par d’autres ports de la côte est et marginalise le Saint-Laurent, marginalise le Québec et marginalise l’est du Canada. »
Leur objectif, c’est d’accaparer le marché interne nord-américain jusqu’au Midwest et de compétitionner directement avec le port de Montréal.
Le port contre-attaque
Pour demeurer concurrentiel et contrer l’offensive des Américains, le port de Montréal mise sur son projet d’agrandissement à Contrecœur, sur la rive sud du fleuve. Le projet de 750 millions de dollars prévoit la construction d’un terminal afin d’augmenter le nombre de conteneurs transbordés et la rapidité avec laquelle la marchandise est livrée par train et par camion. « Avec le temps, la capacité de Montréal va être atteinte. Donc, Contrecoeur va permettre un ajout de capacité », soutient le vice-président stratégie au port de Montréal, Serge Auclair.
Selon M. Auclair, il faut aussi prendre en compte les nouvelles réalités du commerce international. Il cite notamment l’alliance entre Maersk, numéro un mondial du transport de conteneurs, et Alibaba, géant chinois du commerce électronique, pour la création d’un nouveau service de fret. « De plus en plus, il faut de nouvelles façons de distribuer les biens vers les consommateurs. Ça demande des pôles logistiques intégrés à proximité des installations portuaires. Contrecœur va permettre de rejoindre cet enjeu », assure-t-il.
Le projet de Contrecoeur ne permettra pas pour autant d’accueillir de plus gros bateaux sans le dragage du fleuve.
Québec a aussi des visées
Le port de Québec a aussi son projet pour augmenter la compétitivité du Saint-Laurent face aux grands ports américains. Pour l’instant, le port ne transborde que des matières en vrac comme du minerai, mais ses dirigeants veulent construire à Beauport un terminal de conteneurs en eau profonde qui pourra accueillir des navires d’une capacité de 10 000 conteneurs, dès 2020.
« Ça serait un modèle d’affaires un peu différent qui permettrait d’amener des plus gros bateaux. [Les marchandises pourraient ensuite transiter par train] pour aller desservir par exemple le marché du Midwest américain », affirme le président du port de Québec, Mario Girard. Ce dernier voit également une éventuelle collaboration entre le projet de Québec et celui de Contrecoeur.
Cependant, pour la présidente de Logistec, Madeleine Paquin, dont l’entreprise est présente dans 37 ports du Canada et des États-Unis, le projet de Québec vient directement concurrencer Montréal. « [Les administrateurs de Québec] ne veulent pas vraiment collaborer; ils veulent juste le cargo [de] Montréal. Alors, ça commence mal comme point de collaboration. Il faudrait avoir un objectif commun et pas l’objectif de juste prendre les clients. »
Le vice-président du port de Montréal, Serge Auclair, s’interroge lui aussi sur le projet de Québec. « Il y a déjà eu du conteneur à Québec, puis à un moment donné, l’industrie s’est déplacée à Montréal, parce que le marché était à Montréal. »
Le grand patron du port de Québec, Mario Girard, n’est pas surpris par ces réactions. « On est un nouveau joueur qui vient un peu déranger le statu quo établi depuis quelques années. C’est normal qu’il y ait un peu de résistance au changement, de l’inquiétude », note-t-il.
On ne veut pas aller chercher des parts de marché sur le Saint-Laurent. On veut aller chercher des parts de marché qui vont actuellement sur la côte est américaine.
Pour la PDG de la Société de développement économique du Saint-Laurent, Nicole Trépanier, chacun essaie de tirer la couverture de son bord. « Actuellement, chacun a un projet sur la table à dessin, qui est perçu comme étant au détriment de l’autre », souligne-t-elle.
L’union fait la force
Mme Trépanier croit que les ports du Saint-Laurent doivent collaborer pour développer une nouvelle stratégie commune et permettre à la voie maritime de demeurer concurrentielle face aux ports de la côte est des États-Unis. « Il va falloir peut-être s’unir et arriver avec une offre particulière […] sur le Saint-Laurent pour se positionner de manière distincte », croit-elle.
Même si plusieurs solutions sont envisagées pour que le Saint-Laurent reste compétitif, ce sont les grandes compagnies maritimes qu’on trouve à Copenhague, Dubai, Hambourg et Hong Kong qui auront le dernier mot dans ce dossier. D’ici là, les ports de Québec et de Montréal devront travailler ensemble pour que le fleuve Saint-Laurent demeure concurrentiel.