Choisir son combat

Mylène Moisan, Le Soleil, 25 octobre 2017
Ce n’est pas parce qu’on ne la voit plus à la tivi que Véronique Lalande a rendu les armes. Bien au contraire.

Elle a choisi son combat.

Elle et son conjoint, Louis Duchesne, sont plus déterminés que jamais à prouver que le Port de Québec et Arrimage Saint-Laurent ont pollué l’air de la ville impunément et en toute connaissance de cause pendant des années. Et pas seulement avec du nickel, avec une foule d’autres particules.

Ils n’ont jamais pensé que cet épisode de «poussière rouge» du 26 octobre 2012 changerait leur vie à ce point. Ils se sont dit, au début, quand ils ont eu les premiers résultats de l’analyse des poussières recueillies sur le rebord de leur fenêtre, que les autorités allaient prendre ce problème au sérieux.

Elle ne savait pas qu’elles étaient au courant.

Et, surtout, qu’elles avaient balayé le problème sous le tapis pendant des années.

Véronique et Louis ont d’abord cru qu’ils pourraient faire bouger les choses par la mobilisation citoyenne. Ils ont créé l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, ils ont organisé des marches, des vigies, des assemblées de citoyens.

Véronique n’a pas raté une occasion de dénoncer l’inaction des autorités sur la place publique.

«La mobilisation citoyenne s’est heurtée à une absence totale, totale, de volonté des pouvoirs publics, même si tout est là pour arriver à une solution définitive et pérenne. On s’est rendus jusqu’au bout, on était en train de s’épuiser. On a fait un véritable bilan comptable de l’énergie qu’on mettait sur les différents fronts, et on est arrivés au constat que l’énergie qu’on mettait à la mobilisation ne donnait plus rien.»

Ils ont décidé de tout investir dans les deux recours collectifs.

«Il fallait qu’on se dégage de l’énergie pour faire ça. Le temps que je prenais pour répondre aux courriels, pour réagir aux déclarations de Labeaume, je l’ai mis pour obtenir l’information, les données nécessaires pour prouver ce qu’on disait. On met autant d’heures, sinon plus qu’avant, à peu près une vingtaine par semaine.»

En plus de leur emploi régulier, de leur vie de famille.

Le premier recours collectif a été déposé par Véronique et Louis en janvier 2013, suivi d’une série de requêtes et de procédures, d’une demande d’amendement en mai de la même année et le dépôt d’un deuxième recours en 2014. Presque quatre ans se sont écoulés, la cause n’est toujours pas officiellement inscrite.

L’heure est aux huis clos, aux conférences de gestion, aux interrogatoires, à la production d’expertise.

Devant eux, l’adversaire achète du temps. «On reçoit l’information au compte-gouttes, il faut demander, redemander, pousser. Une fois, ils nous ont envoyé plus de 6000 pages de données en PDF… on a demandé les fichiers sources, ils nous ont dit qu’ils ne les avaient pas. Ben voyons! On leur a redemandé, ‘‘bien oui, vous les avez…’’»

Ils ont obtenu les fichiers sources.

Même chose pour les mesures qui ont été mises en place. «On leur a demandé de nous produire le plan, ils nous répondent ‘‘on n’en a jamais eu, on n’est pas une business comme ça’’. C’est quoi? Tu veux passer pour un cave ou un incompétent?»

C’est la première fois de l’entrevue que Véronique échappe le genre de commentaires qu’elle ne se gênait pas de faire avant.

Elle sait qu’elle doit faire attention.

«Les gens n’imaginent pas ce que ça représente d’être le requérant dans un recours collectif, les demandes qu’on reçoit et auxquelles il faut répondre, le passage d’informations. Ça représente des centaines et des centaines d’heures. Ça ne fait pas les nouvelles ni des topos de 30 secondes. C’est un travail de fond.»

Et ça a payé. «Ça y est, on a maintenant toute l’information qu’on voulait, on a obtenu les données, le tonnage, les échantillons d’air. Ça a été long, ça a demandé énormément d’énergie, mais on a fini par avoir ce qu’on voulait. Ça vient confirmer ce qu’on avait trouvé de l’extérieur, avec des données périphériques.»

Elle n’en dira pas plus.

Elle voudrait bien, mais elle ne peut pas. L’information est sous scellé, processus judiciaire oblige. Elle sera dévoilée en temps et lieu, quand le recours sera entendu. «Au-delà du processus judiciaire, on veut que la vérité sorte. Même si la cause se rend en cour suprême, quand je serai vieille… Les gens jugeront.»

Ce qui est clair dans l’esprit de Véronique, c’est que sans la poussière rouge du 26 octobre 2012, le Port et Arrimage continueraient à saupoudrer allègrement une panoplie de particules dans l’air de la ville. «Ce qui est hallucinant, c’est que dans leur discours, partout, ils essayent de faire passer cet épisode-là pour un événement exceptionnel. Et quand on leur demande ce qui était exceptionnel ce jour-là, dans la météo, dans les circonstances, ils ne peuvent pas répondre. Parce que ce n’était pas exceptionnel, ça faisait des années que ça durait. Ce qui a été exceptionnel ce jour-là, c’est que j’ai appelé à la ville, qu’ils ont envoyé deux inspecteurs d’Urgence environnement, qu’ils mont dit ‘‘ça vient du port, on ne peut rien faire’’. Et que je n’ai pas accepté cette réponse-là…»

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