L’UPA réclame les terres de Rabaska pour l’agriculture

Annie Morin et Simon Boivin, Le Soleil, publié le 13 avril 2017

(Québec) Les terrains de Rabaska promis au Port de Québec doivent réintégrer la zone agricole, affirme l’Union des producteurs agricoles (UPA), qui s’appuie sur un document signé par le promoteur en 2013.

L’UPA n’a jamais fait son deuil des 271,7 hectares de terres agricoles dézonées par décret en 2007. Voyant que le terminal méthanier tardait à se concrétiser, en 2013, le syndicat agricole a négocié un addendum au protocole d’entente conclu six ans plus tôt avec Rabaska pour la location des terres.

«Dans l’éventualité où Rabaska décidait de ne pas donner suite à son projet de construire un port méthanier sur les lots visés, elle s’engage à réaliser, conjointement avec le Syndicat de l’UPA de Kennedy, une démarche auprès du gouvernement du Québec visant l’adoption d’un décret ayant pour effet de réinclure en zone agricole les lots», peut-on y lire.

«Dans cette démarche, les parties prendront en considération la position qui pourrait être exprimée par des intervenants locaux, dont notamment la Ville de Lévis», précise le texte.

Paul Doyon, président de l’UPA de Chaudière-Appalaches, s’est dit «déçu» jeudi que son partenaire «ne respecte par l’esprit de l’addendum». «On était convaincus que Rabaska allait travailler un jour à remettre les terres non utilisées en zone verte», a-t-il confié.

Comme l’entreprise tire sa révérence, le leader syndical veut voir revenir les terres dans le giron agricole. Il va faire ses représentations au maire Gilles Lehouillier puisque la Ville de Lévis a son mot à dire. La voie juridique n’est pas envisagée pour le moment.

De son côté, le président de Rabaska, signataire du document, n’a pas l’intention de livrer bataille avec l’UPA. Cela parce que la Ville de Lévis tient à développer une zone industrialo-portuaire dans le secteur où se trouvent les terrains qui doivent être cédés au Port de Québec d’ici cinq ans maximum. «On n’est pas pour arbitrer entre l’UPA et la Ville. Celui qui représente l’ensemble de la collectivité, c’est la Ville», a martelé André L’Écuyer jeudi, affirmant qu’il a «toujours été clair» sur ses intentions.

Pas d’ambiguïté non plus pour le maire Gilles Lehouillier. «Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on reconnaît Lévis comme faisant partie de la zone industrialo-portuaire Québec-Lévis», s’est-il réjoui jeudi. Selon lui, cela pourrait amener «une explosion» du développement industriel ainsi que des emplois bien rémunérés dans Chaudière-Appalaches.

La seule concession du maire à l’agriculture, c’est de laisser les terres en location aux agriculteurs du coin en attendant un projet industriel concret.

M. Lehouillier n’a par ailleurs pas écarté la possibilité d’accueillir un terminal pétrolier. «Ce qui compterait dans les projets de développement, c’est qu’on ait un peu de valeur ajoutée, des projets qui permettraient la transformation, la création d’emplois industriels», a-t-il dit.

L’élu municipal ne s’inquiète pas non plus que les terrains tombent éventuellement sous juridiction fédérale. «On a eu l’assurance du Port de Québec que s’il y a un projet, ils vont suivre les règles du jeu, ils vont se soumettre aux consultations publiques», a-t-il rapporté.

Scénario vrac liquide

Le ton est moins positif du côté du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM), qui a déjà fait la lutte à la fois à Rabaska et au Port de Québec. Son président, Pierre-Paul Sénéchal, avait l’impression jeudi de «rentrer dans des sables mouvants». Selon lui, les contraintes des terrains en jeu – accès restreint au littoral et relief important de la falaise – «militent fortement en faveur du scénario vrac liquide».

M. Sénéchal évoque même un terminal pétrolier, malgré l’assurance que le Port ne fera pas de démarchage en lien avec les hydrocarbures pendant une période de cinq ans.

«Si l’hypothèse d’un terminal pétrolier d’exportation devait s’avérer au terme des cinq années, il en résulterait qu’un gigantesque projet d’entreposage et de transport d’hydrocarbures échapperait à l’examen du BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement). L’avertissement solennel lancé aujourd’hui par le ministre de l’Environnement David Heurtel pourrait ne pas avoir beaucoup de poids dans les circonstances. Quant à la ville de Lévis, un simple petit dossier d’aéroport privé est là pour lui rappeler qu’en cette matière, elle n’a rien à dire», a-t-il dénoncé dans un communiqué de presse transmis au Soleil.

Port de Québec: les lois du Québec s’appliqueront, dit Heurtel

Si le Port de Québec souhaite construire un port en eau profonde sur le terrain détenu par Rabaska, il devra répondre aux lois environnementales québécoises, indique le ministre David Heurtel.

L’option d’achat prise par l’Administration portuaire de Québec (APQ) sur le terrain dans Lévis-Est en vue de développement futur n’est pas un projet en soi pour le ministère de l’Environnement.

«On en prend acte [de la volonté du port], a commenté jeudi le ministre Heurtel. Tant qu’on a pas de projet à évaluer, c’est difficile d’aller plus loin que ça.»

Le pdg du port, Mario Girard, a expliqué au Soleil vouloir réserver ce qui représente pour lui la dernière zone industrialo-portuaire disponible dans un rayon de 50 à 100 km. Il assure ne pas avoir de projet précis dans sa manche, mais que l’endroit serait propice à la construction d’un port en eau profonde.

De façon générale, la réalisation d’un projet du genre commande la réalisation d’un BAPE ou d’une évaluation environnementale, a dit le ministre Heurtel. «On va attendre de voir un projet avant d’aller plus loin, mais c’est clair que pour nous, dès qu’il va y avoir un projet concret à étudier, on va l’analyser à la lumière de nos règlements et nos lois», a dit le ministre Heurtel.

En 2015, le ton a monté entre le ministre et l’APQ au sujet de l’agrandissement portuaire Beauport 2020. M. Heurtel est aujourd’hui satisfait que les préoccupations québécoises aient été prises en considération dans le processus fédéral d’évaluation environnementale.

Une belle vision

Le ministre responsable de la région de Québec, François Blais, a dit qu’il «faut appuyer le port dans son développement». «On comprend que c’est un projet de développement qui est encore très initial, a commenté M. Blais. On appuie le Port de Québec dans son développement. On verra par la suite ce qui est proposé exactement.»

Le ministre responsable de la Stratégie maritime, Jean D’Amour, applaudit à l’initiative du port. «C’est une belle vision, a-t-il indiqué. Je suis pas mal content de ça. Il faut toujours, en affaires, se préparer à des opportunités. Et, dans le domaine maritime, il y en aura.»

L’option d’achat prise par le port sur la zone de 273 hectares située à la limite de Beaumont lui donne cinq ans pour concrétiser la transaction. La Ville de Lévis fixe la valeur foncière des terrains de Rabaska à 6,6 M$.

La porte-parole péquiste pour la capitale nationale, Agnès Maltais, n’a pas voulu commenter l’annonce du port. Le député caquiste de Lévis, François Paradis, a fait parvenir une communication écrite au Soleil : «Nous sommes en accord avec les projets économiques pour notre région. Le port doit se développer dans le respect des lois en vigueur, dont celles concernant l’environnement, de même que l’intérêt de la population, mais il doit se développer.»  Simon Boivin

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