Publié le 01 octobre 2016
Le Soleil
Voilà réapparaître le projet de phase 3 de la promenade Samuel-De Champlain. Plusieurs de ses éléments avaient été descendus en flammes en 2013 par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, dont la construction d’une piscine face au Saint-Laurent. On plaidait pour un aménagement moins coûteux, plus naturel. Le projet 2016 se veut pourtant quasi identique au premier.
À ceux qui suggéraient de se baigner dans le Saint-Laurent, le maire Régis Labeaume répondait en 2013 qu’il serait irresponsable de le permettre dans des eaux provenant des Grands Lacs. Pourtant, trois ans plus tard, à l’été 2016, la baignade dans les eaux de la Baie de Beauport est avalisée par les autorités, Ville et Port confondus. Des milliers de personnes ont répondu à l’appel de juin à septembre. La Ville de Lévis a annoncé qu’elle espérait ouvrir ses plages à la baignade dès 2017. Par quelle magie en sommes-nous arrivés là?
À l’échelle provinciale, les milliards de dollars investis dans la dépollution ont porté. Les eaux usées de 99% de la population desservie par un réseau d’égout sont actuellement traitées (2% au début des années 70). Nos voisins ontariens ne sont pas en reste. Toronto exploite 12 plages, certaines juste en face du centre-ville. Au Parc national des Mille-Îles, là où les eaux des Grands Lacs s’engouffrent dans le Saint-Laurent, Parcs Canada invite à la baignade.
À l’échelle locale, la Ville de Québec s’est résolument attaquée à la vraie source du problème: ses propres émissions. En 2009, elle a mis en place un groupe de travail interservices (Services de l’Ingénierie, des Travaux publics et de l’Environnement) dédié à «trouver les causes de la contamination des plages et des cours d’eau et à effectuer les correctifs appropriés afin de récupérer les usages récréatifs». La quantité de données générées par le biais du programme de surveillance aux plages de la Baie Beauport et Jacques-Cartier, mais aussi par l’échantillonnage systématique des tributaires du fleuve, des exutoires pluviaux et des trop-pleins a permis de mieux comprendre la dynamique de la qualité des eaux.
Ces données ont permis de procéder à des interventions ciblées pour corriger les causes des déversements d’eaux contaminées. Un exemple: en 2013, on détecte le bris d’une conduite principale par où les eaux usées de l’Université Laval se déversaient dans la rivière Saint-Charles, l’équivalent des rejets d’environ 10 000 personnes. Le problème a été corrigé depuis. Globalement, le nombre d’heures de surverse (déversement d’égout dans les cours d’eau) par temps sec est passé de 1650 en 2011 à seulement 139 en 2014, une diminution de 92%!
Ces informations apparaissent dans les rapports produits annuellement par la Ville de Québec. Le portrait qui s’en dégage est celui d’une Ville qui sait où elle va, qui a affecté d’importantes ressources pour atteindre les objectifs souhaités et qui est en voie de gagner la lutte entreprise. On ne peut donc que s’étonner du fait qu’il faille recourir à une demande d’accès à l’information pour prendre connaissance des rapports. Ce qui devrait être célébré haut et fort est caché! Une autre facette du mystère Québec. Résultat, cet effort remarquable est ignoré de la population et certainement de la Commission de la capitale nationale du Québec, peut-être même du maire. Sinon, comment expliquer qu’on souhaite encore en 2016 construire à coup de millions de dollars une piscine à deux pas du Saint-Laurent?
Les choses continuent de s’améliorer rapidement. Montréal aménage au coût de 100 millions $ une unité de désinfection par ozonation qui devrait être en activité en 2018. La Ville de Québec construira deux bassins de rétention, l’un près de la baie de Beauport et l’autre à l’anse au Foulon, qui contribueront à réduire plus encore les rejets locaux au fleuve, justement là où la phase 3 sera réalisée.
Ainsi dans quelques années, si la phase 3 de la promenade Samuel-De Champlain se construit comme prévu, vous aurez le choix. Par une journée de canicule, vous pourrez rejoindre les citoyens en sueur qui tremperont dans les eaux mortes et chlorées de l’éventuel bassin aménagé à grands frais sur la berge. Ou vous baigner juste en face, dans les eaux vivantes du majestueux Saint-Laurent, gratuites celles-là.
Michel Beaulieu, biologiste, Québec