Un projet de port à Gaspé pour exporter du gaz naturel

Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 1er septembre 2016

Tugliq vient de déposer une demande de permis à l’Office national de l’énergie pour exporter une bonne partie de la ressource qui serait exploitée dans le cadre du projet Bourque.
Tugliq vient de déposer une demande de permis à l’Office national de l’énergie pour exporter une bonne partie de la ressource qui serait exploitée dans le cadre du projet Bourque. (Photo: Alexandre Shields, Le Devoir)

 

Un important port d’exportation de gaz naturel liquéfié pourrait voir le jour à Gaspé, a appris Le Devoir. L’entreprise Tugliq, partenaire de Pétrolia dans le développement d’un projet d’exploitation de gaz en Gaspésie, vient en effet de déposer une demande de permis à l’Office national de l’énergie pour exporter une bonne partie de la ressource qui serait exploitée dans le cadre du projet Bourque, financé notamment par Québec.

Le gouvernement Couillard a toujours présenté ce projet d’exploitation gazière comme un moyen de permettre à des entreprises, notamment de la Côte-Nord, d’avoir accès à du gaz naturel afin de réduire leur consommation de diesel ou de mazout. Ressources Québec a d’ailleurs injecté 12,3 millions de dollars de fonds publics dans les travaux d’exploration sur le site Bourque, situé à l’est de Murdochville.

Le partenaire de Pétrolia, Tugliq gaz naturel, lorgne toutefois sérieusement le marché de l’exportation. L’entreprise a en effet déposé le 30 août une « demande de licence d’exportation de gaz naturel » à l’Office national de l’énergie, l’organisme qui a le pouvoir au Canada d’autoriser un tel projet. Le permis est demandé pour « une période de 25 ans » et se base sur un scénario dans lequel tout le gaz exploité serait directement exporté, à raison de 37,5 milliards de pieds cubes par année.

Incertitudes

Si la demande rappelle que le projet de transport maritime de gaz naturel liquéfié (GNL) servira à alimenter un éventuel marché québécois, elle précise à deux reprises que sa « viabilité » financière dépendra de la possibilité d’exporter. « Il est dorénavant établi que la capacité de Tugliq à mettre en oeuvre le projet réside dans la composante exportation », peut-on lire dans la conclusion.

« L’exportation de GNL assurera au demandeur des revenus et la profitabilité de ses infrastructures de transport et de liquéfaction, et ce, malgré une perspective d’un développement progressif lent de la demande de GNL sur le marché domestique », fait aussi valoir Tugliq dans le document de 26 pages.

L’entreprise émet ainsi des réserves par rapport à la demande pour le GNL au Québec. Non seulement les « courts mondiaux des matières premières et le coût des hydrocarbures sont de nature à décourager momentanément les projets de conversions au gaz naturel chez ses clients potentiels », mais les projets miniers qui pourraient être intéressés « sont actuellement dans l’incertitude quant à leurs perspectives de développement futures ». Globalement, Tugliq estime que le développement du marché québécois « est actuellement incertain ».

Le marché international lui apparaît plus intéressant car « le prix du GNL produit par le projet sera compétitif en comparaison des cours mondiaux de cette commodité et de ce fait attrayant pour les acheteurs internationaux de gaz naturel ». Tugliq précise même être « en discussion afin de conclure des ententes avec des acheteurs potentiels qui viendraient s’approvisionner au point d’exportation ».

Baie de Gaspé

Si le projet se concrétise, le gaz éventuellement exploité serait transporté jusqu’à la baie de Gaspé par un gazoduc de 60 kilomètres. Une « usine de liquéfaction flottante »serait installée dans le secteur du quai industriel de Sandy Beach, à environ trois kilomètres du centre-ville. Une autre « unité flottante » servirait à stocker le GNL. C’est là que viendraient s’amarrer les méthaniers pour l’exportation, des navires d’environ 250 mètres de longueur sur 45 mètres de largeur. Il s’agirait de navires d’une taille similaire à ceux qui devaient importer du GNL dans le cadre du projet Rabaska.

Le site de Gaspé a été privilégié par le promoteur en raison de la « protection naturelle » qu’offre la profonde baie de Gaspé, bordée d’un côté par le parc Forillon, mais aussi de la profondeur de l’eau, qui peut « accueillir les navires desservant les marchés d’exportation ».

Pour le moment, aucune évaluation environnementale québécoise n’est prévue pour le projet portuaire. Vérifications faites auprès du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, aucun avis de projet n’a été déposé par Tugliq. L’entreprise s’est cependant engagée à suivre le processus TERMPOL, dirigé par Transport Canada, et qui réglemente les infrastructures portuaires pour les navires pétroliers et gaziers.

Forages à venir

Ce projet n’est pas le seul projet d’exportation de GNL en développement à l’heure actuelle au Québec. Un autre, nommé Énergie Saguenay, serait d’ailleurs plus imposant. Il prévoit l’implantation d’infrastructures de liquéfaction, d’entreposage et de transbordement de gaz naturel dans la zone portuaire de Grande-Anse, située à La Baie, au Saguenay.

C’est là que serait construite l’usine qui servirait à liquéfier les 11 millions de tonnes de gaz naturel exportées chaque année à bord de méthaniers de type Q-Flex. Ces imposants navires peuvent transporter 217 000 m3 de gaz. Ils atteignent une longueur de 297 mètres pour une largeur de 45 mètres. Ce projet de 7,5 milliards de dollars entraînerait une hausse du transport d’hydrocarbures dans le seul parc marin de la province.

Pour que le projet de Tugliq se concrétise, il faudra toutefois démontrer d’abord le potentiel d’exploitation de gaz naturel du projet Bourque. Pétrolia a confirmé mercredi qu’elle doit entreprendre deux nouveaux forages horizontaux en septembre. Selon une évaluation préliminaire de la firme Sproule, le sous-sol du secteur pourrait renfermer 1000 milliards de pieds cubes de gaz naturel.

Une étude menée par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques a déjà conclu que les émissions de gaz à effet de serre liées à l’exploitation de structures comme celle de Bourque se situeraient « dans la moyenne des émissions liées à l’exploitation du gaz de schiste et du pétrole de schiste nord-américain ». Il sera cependant difficile d’avoir l’heure juste sur le bilan des émissions des projets de Pétrolia, dont le gouvernement québécois est le premier actionnaire. Aucune évaluation indépendante n’est prévue, par exemple sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

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