Petite histoire de la qualité de l’eau du fleuve à Québec

Jean-François Cliche, Le Soleil, publié le 11 juillet 2016

(Québec) Après s’être améliorée tout au long des années 80 et 90, la qualité de l’eau du fleuve semble avoir marqué une pause depuis 15 ans, selon une étude parue dans le Naturaliste canadien cet été. Mais il y a lieu d’espérer que ce hiatus prendra fin bientôt, au moins pour les concentrations de bactéries présentes, selon un de ses auteurs, le biologiste Serge Hébert.

Travaillant au ministère de l’Environnement, M. Hébert suit la qualité bactériologique de l’eau du fleuve depuis 25 ans. «Monsieur Qualité-de-l’eau-pour-la-baignade», c’est lui. Alors que la Ville de Québec vient de réautoriser, pour la première fois depuis les années 60, les saucettes dans le fleuve, Le Soleil s’est entretenu avec lui, juste avant ses vacances.

Q Quelle était la qualité de l’eau du fleuve en 1969, quand la baignade a été interdite? Est-ce qu’on a des données là-dessus? 

R Peut-être. J’ai de la documentation là-dessus qui date de 1978. Si des données de coliformes fécaux [ces coliformes sont un grand groupe de bactéries vivant dans nos intestins; la plupart sont inoffensives, mais on les compte, en «unités formant des colonies» par 100 millilitres (ufc/100 ml), parce que leur abondance indique un risque que des agents pathogènes soient présents] existent pour cette époque, ce serait probablement la seule source. Mais de toute manière, c’est sûr qu’en 1978, c’était des égouts bruts qu’on jetait dans le fleuve, il n’y avait pas d’assainissement. […] À l’anse au Foulon, les gens devaient se baigner dans du 2000 à 3000 ufc/100 ml [la norme actuelle pour la baignade est de 200 ufc/100 ml].

Q Est-ce que ça a beaucoup empiré dans les années 60 ou est-ce pour d’autres raisons qu’on a interdit la baignade?

R Ce n’est pas parce que la contamination était devenue pire ou parce qu’on a eu un pic de contamination. C’est que les notions de pollution des eaux et de problèmes de santé publique sont arrivées à peu près à cette époque-là, avec les épidémies de poliomyélite [un virus autrefois fréquent qui se transmet par voie fécale-orale et qui, dans certains cas, peut tuer ou paralyser de façon permanente]. Et les premières études épidémio-logiques aux États-Unis qui reliaient les coliformes fécaux aux gastroentérites remontent à la même époque. Alors si on a fermé les plages, ce n’est pas parce que la pollution était plus forte, mais parce qu’on s’est rendu compte qu’il y avait un problème.

Q Si tout le monde se baignait régulièrement dans des eaux à 2000 ufc/100 ml, est-ce que le système immunitaire s’adapterait?

R Peut-être aussi que les liens n’étaient pas toujours faits entre la gastro et la baignade, peut-être qu’on mettait ça sur le dos d’une indigestion ou d’autre chose. Tant que ça n’avait pas été documenté, ce lien-là, ce n’était pas connu.

Et les coliformes fécaux sont un indicateur de pollution, mais ça dépend toujours du bassin de population et des bactéries et des virus qui se promènent dans cette population-là : 2000 ufc/100 ml dans le Saint-Laurent ou dans le Gange, ce n’est pas la même chose. Ici, ce qu’on risque, ce n’est pas le choléra, le typhus ou la fièvre jaune, c’est plus une gastroentérite.

Q Donc après cette prise de conscience et l’interdiction de la baignade, on a fini par construire des usines de traitement des eaux…

R Oui, les premières remontent aux années 80. Dans plusieurs cas, ces usines ont des étangs aérés qui font une désinfection naturelle : il y a un temps de rétention et les ultraviolets du soleil tuent les microbes. Quand les eaux traitées sortent ensuite, leur niveau de contamination est assez acceptable, ça élimine près de 99 % des virus et des bactéries. Ce sont plutôt les grosses usines physicochimiques comme celles de Montréal, de Longueuil et de Repentigny, qui doivent désinfecter en plus. Certaines désinfectent, Laval le fait, Québec le fait. Mais il y a encore quelques grosses villes qui ne sont pas encore dotées de ces équipements-là.

Q Est-ce que c’est dans les plans?

R À Montréal, c’est prévu pour 2018, donc ça va améliorer énormément la qualité de l’eau. En ce moment, à la hauteur de Tracy, on parle encore de 400 à 800 ufc/100 ml, mais ça va s’améliorer de façon drastique après 2018, et ça va se sentir sur la qualité des eaux qui arrive juste en amont de Québec aussi. Alors le potentiel de baignade va être encore meilleur à Québec quand Montréal va désinfecter ses eaux usées.

Q C’est une bonne nouvelle pour les baigneurs, mais est-ce qu’il n’y a pas aussi tout un lot d’autres polluants chimiques dans le fleuve? Certains diminuent, mais d’autres augmentent. Est-ce qu’on doit s’en inquiéter pour la baignade?

R Il y a des contaminants chimiques, oui, mais il faut voir les voies d’exposition. Pour des produits comme les BPC ou HAP [hydrocarbures aromatiques polycycliques, grosso mododes «produits pétroliers»], c’est plus l’alimentation qui va être la voie de pénétration dans l’organisme. Pendant la baignade, c’est sûr qu’on peut avaler de l’eau, mais pour ces contaminants chimiques, c’est pas en avalant quelques petites gorgées de temps en temps qu’on va s’y exposer beaucoup, et notre peau est relativement imperméable à ces produits-là. On ne vit pas toujours dans l’eau comme un poisson, alors on n’en absorbe pas assez pour que ça ait des effets sur la santé.

Note : nous avons légèrement édité notre entrevue avec M. Hébert afin de la faire mieux cadrer dans un format questions-réponses.

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