(Québec) ÉDITORIAL / C’est à un bien drôle de jeu que se livre le gouvernement libéral avec la région de Cacouna. Fin 2014, le premier ministre Philippe Couillard disait que TransCanada, qui proposait de construire un terminal pétrolier à cet endroit, devrait se chercher des sites alternatifs parce que le béluga du Saint-Laurent, qui «élève» ses petits dans cette partie de l’estuaire en été, venait d’être classé espèce en voie de disparition. Et voilà qu’à peine 18 mois plus tard, son ministre Jean D’Amour veut développer une zone industrialo-portuaire (ZIP) au même endroit, avec l’appui et l’argent du public. Cherchez l’erreur…
À la fin de juin, le provincial a annoncé qu’il consacrerait 125 000 $ à un «plan de développement» d’une ZIP à Cacouna. On est, certes, encore loin de la première pelletée de terre, mais le gouvernement a réservé des enveloppes totalisant 500 millions $ pour établir des «zones» de ce type dans sa Stratégie maritime 2015-2020. Et ce n’est manifestement pas un petit quai pour des chaloupes que M. D’Amour a en tête : «Nous visons à ce que cette zone industrialo-portuaire devienne un centre névralgique et essentiel à la vitalité économique des communautés.»
En réponse aux inquiétudes environnementales, le cabinet de M. D’Amour a reconnu la présence d’une «pouponnière» de béluga devant Cacouna, mais a affirmé qu’il n’était pas prouvé que le trafic maritime venant avec la ZIP dérangerait l’espèce et que «la pouponnière, elle est à un endroit. Mais est-ce qu’il n’y a pas un moyen de passer à côté?»
Or ces arguments nous apparaissent d’une pauvreté accablante. Le projet de terminal de TransCanada avait rallié contre lui un consensus des experts en mammifères marins : tous disaient que les bélugas du Saint-Laurent, et particulièrement leurs veaux, ont besoin de la tranquillité qu’offre ce secteur.
Dans un rapport de 2014, les scientifiques de Pêches et Océans Canada expliquent qu’il y a deux chenaux, que le plus clair du trafic maritime passe par le côté nord du Saint-Laurent, bien qu’il existe un «chenal sud». La présence d’un chapelet d’îles au large de Cacouna et de L’Isle-Verte forme donc un écran qui protège la côte sud contre le bruit, auquel les cétacés sont très sensibles.
Au sujet d’une éventuelle déviation du trafic vers le chenal sud, ces mêmes scientifiques fédéraux écrivaient qu’une «augmentation du trafic maritime dans le secteur sud risque d’avoir des effets négatifs, ou neutres dans le meilleur des cas, sur le rétablissement du béluga du Saint-Laurent. […] La déviation d’une partie du trafic marchand vers le chenal sud diminuerait grandement le nombre de zones à l’abri du bruit pour les femelles, juvéniles et veaux, et contribuerait à la dégradation acoustique de certaines zones de concentration qui, auparavant, étaient peu exposées au bruit de la navigation».
Et les savants remarquaient au passage que la construction d’un terminal pétrolier était clairement un pas dans la mauvaise direction.
Nous n’avons rien contre les ports de mer. En ce qui nous concerne, au contraire, on peut bien en construire plusieurs si cela peut ragaillardir des économies régionales. Mais il suffit d’avoir 2 ¢ de considération pour l’avenir des bélugas, dont la population avoisinerait les 900 (contre 10 000 au XIXe siècle), pour voir que Cacouna est le dernier endroit au Québec où planter un projet portuaire d’envergure.