Si tout se déroule comme prévu, la station d’épuration Jean-R.-Marcotte, située dans l’est de l’île de Montréal, devrait mettre en service la plus importante unité d’ozonation au monde en 2018 pour traiter les eaux usées rejetées dans le fleuve Saint-Laurent. Aperçu des effets de cette approche avec deux chercheurs universitaires spécialisés en la matière.
Si l’ozonation est déjà utilisée à Montréal dans les traitements associés à la production d’eau potable, elle ne l’est pas encore pour les eaux rejetées dans la nature. Le 23 mars 2015, la Ville de Montréal a annoncé l’octroi d’un contrat de fourniture de près de 99 millions de dollars à Degrémont, une filiale de Suez Envrionnement, pour la fabrication, la livraison et la mise en service d’une unité d’ozonation dont l’objectif consiste à désinfecter, six mois par année, les eaux usées rejetées par l’agglomération dans le fleuve Saint-Laurent. L’automne prochain, les travaux de préparation du site de l’unité d’ozonation devraient s’amorcer. La Ville prévoit lancer, d’ici la fin de l’année, un appel d’offres pour la construction des bâtiments d’ozonation et un autre pour la construction du bâtiment de production d’oxygène nécessaire à ce procédé.
Cette dernière phase dans la chaîne de traitement semble donc sur le point de se concrétiser. Mais l’analyse de cette façon de faire pour les besoins montréalais remonte à près de 25 ans. Au début des années 1990, les données révélaient que l’utilisation du chlore avait un effet nocif sur la faune et la flore aquatiques du fleuve Saint-Laurent. La Ville de Montréal s’est alors tournée vers deux solutions de rechange qui ne semblaient pas générer de sous-produits indésirables : le traitement à l’ozonation et celui aux rayons ultraviolets.
Les deux techniques ont fait l’objet d’une série d’essais parallèles avec les eaux usées montréalaises au cours des années suivantes. En 2002, un laboratoire écotoxicologique a été mis en place à la station d’épuration Jean-R.-Marcotte. Après analyse des résultats, la Ville de Montréal, le ministère de l’Environnement du Québec ainsi que le ministère des Affaires municipales ont recommandé en 2007 l’ozonation. Les résultats des tests indiquaient que cette dernière technique présentait davantage de bénéfices environnementaux.
Robert Hausler, professeur à l’École de technologie supérieure (ETS), est l’un des experts qui ont été consultés à partir de 2005 au sujet des procédés d’ozonation. Il les a notamment expérimentés directement dans les eaux usées de la métropole. Selon lui, il s’agit d’un bon choix.
« En tant que chimiste et ingénieur, je suis persuadé que c’était la meilleure décision, parce que ce sont les poissons qui nous l’ont dit, déclare-t-il. L’eau devenait claire, avait une odeur agréable et les poissons étaient un peu dodus, parce qu’ils étaient bien oxygénés. À l’oeil, on voyait qu’il y avait un effet bénéfique. Ensuite, les dissections et les autopsies ont montré que les perturbations, les cellules cancéreuses et les mutations avaient diminué. Elles n’avaient pas été enlevées totalement, mais c’était beaucoup mieux qu’avec les eaux usées ou le traitement aux ultraviolets. »
À ses yeux, le traitement aux rayons UV et celui à l’ozonation ont à peu près le même coût, le même rendement et les mêmes besoins en énergie. Mais dans le cas des eaux montréalaises, l’ozonation répond davantage, d’après lui, aux critères du développement durable. L’ozonation permettrait, selon la Direction de l’épuration des eaux usées de Montréal (DEEU), d’enlever 85 % des perturbateurs endocriniens qui, lorsqu’ils se retrouvent dans le fleuve, bousculent la reproduction de diverses espèces.
En plus d’éliminer l’essentiel des coliformes fécaux, des entérocoques ou des coliphages pour protéger la santé humaine, « la désinfection à l’ozonation a cet avantage d’avoir pour effet secondaire de dégrader les contaminants émergents », explique Viviane Yargeau, professeure à l’Université McGill, dont les recherches portent sur l’ozonation des eaux usées. Les contaminants émergents sont notamment issus des drogues illégales, des produits pharmaceutiques et des pesticides. La DEEU estime que 75 % des antidépresseurs et anticonvulsifs dans les eaux usées seront éliminés grâce à l’ozonation. « Ce n’est pas le cas avec le traitement aux UV, qui a une efficacité très faible au niveau de l’enlèvement des contaminants émergents », précise Mme Yargeau qui, comme M. Hausler, faisait partie du groupe d’experts mandaté pour présenter un avis scientifique à Environnement Canada sur le déversement des eaux usées de la Ville de Montréal en octobre dernier.
M. Hausler souligne aussi que l’ozonation s’adapte plus facilement « à la variation de la qualité de l’eau de Montréal », provoquée par le mélange d’eaux industrielles et domestiques sur le territoire, lequel « explique pourquoi les UV étaient moins performants que sur papier ».
Le chercheur de l’ETS reconnaît que certaines municipalités d’Europe et des États-Unis ont laissé tomber l’ozonation dans les dernières décennies. Mais « les abandons d’il y a cinq ou dix ans s’expliquent plus parce que la technologie n’était pas prête à être installée », note Robert Hausler. Il souligne que les ozoneurs sont désormais plus efficaces en fonctionnant à l’oxygène plutôt qu’à l’air ambiant.
Il reste néanmoins la question du dosage de l’ozone injecté, qui demande une certaine vigilance. Dans le cas d’une eau avec une forte concentration de matières organiques, mettre de l’ozone en quantité insuffisante risquerait de générer de nouveaux sous-produits. « Tu te retrouves avec des molécules intermédiaires ou des molécules pas complètement oxydées qui peuvent être plus dangereuses que les premières », indique M. Hausler. En revanche, le chercheur affirme avoir observé ce phénomène lors d’essais avec des eaux de lixiviation, mais jamais dans ses expérimentations avec les eaux usées de Montréal. « Tu dois bien connaître ton eau et le procédé pour bien doser », prévient-il tout de même.
La dose d’ozone qui sera injectée par le système prévu à Montréal tournera autour de 16,5 milligrammes par litre, pour un débit d’ozone de 57 tonnes métriques par jour. Au sujet du dosage approprié pour ne pas créer de nouveaux problèmes, Mme Yargeau, de l’Université McGill, précise que « c’est un élément dont la Ville de Montréal est consciente. On est déjà en discussion avec elle pour avoir accès à des échantillons après l’installation et la mise en marche de l’unité pour pouvoir faire un suivi de l’enlèvement des contaminants émergents et du changement de toxicité, ainsi que pour s’assurer qu’une dose plus élevée ou plus faible pourrait permettre la désinfection, mais sans risque d’avoir un impact au niveau de la toxicité. [La Ville] semble ouverte à l’idée de considérer ces choses ».