Me Jean Baril, professeur de droit à l’UQAM et auteur du livre «Le BAPE devant les citoyens». Trois-Rivières
Le Soleil, publié le 15 août 2015
En réaction à l’éditorial À l’eau le BAPE et Heurtel de Brigitte Breton, publié le 14 août
Un tournant dangereux semble se produire au sein du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques (MDDELCC), tournant dont l’ampleur implique certainement l’approbation du premier ministre Couillard. Coup sur coup, en juin et juillet, le ministre David Heurtel a contourné les obligations prévues à la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et à sa réglementation quant au processus d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement, tant sur le projet d’oléoduc d’Énergie Est que sur le projet d’agrandissement du port de Québec.
Concernant Énergie Est, à l’automne 2014, le ministre Heurtel transmettait deux lettres au promoteur TransCanada réitérant l’assujettissement de la portion québécoise de son projet d’oléoduc à la procédure prévue par le Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement. Il demandait alors à l’entreprise de déposer le plus tôt possible son avis de projet de façon à ce que le ministère puisse rapidement lui remettre sa directive sur le contenu de l’étude d’impact à élaborer. Cette étude d’impact, une fois approuvée par le ministre, aurait alors fait l’objet d’audiences publiques menées par le BAPE et le gouvernement du Québec aurait eu ensuite à décider s’il délivrait la certification d’autorisation nécessaire à TransCanada et à quelles conditions. Le tout conformément à ce que prévoit la LQE aux articles 31.1 et suivants.
Mais, le 9 juin, devant le refus de TransCanada de se plier à la procédure québécoise, le ministre donne directement un mandat au BAPE en vertu de l’article 6.3 de la LQE, article qui n’oblige en rien le promoteur, qui ne relève pas de la procédure d’évaluation et d’examen, qui ne rend pas obligatoire la confection d’une étude d’impact, ni la présence du promoteur aux audiences publiques. TransCanada ne doit pas être mécontente! Quant au gouvernement, il s’enlève une épine du pied: l’obligation de délivrer ou non un certificat d’autorisation à TransCanada et un possible conflit constitutionnel avec le fédéral advenant des conditions jugées inacceptables.
Concernant le projet d’agrandissement du port de Québec, le ministre a agi sensiblement de la même façon. Au printemps, il promettait que la population de Québec serait consultée sur ce projet par le BAPE. Effectivement, «la construction ou l’agrandissement d’un port» est spécifiquement mentionné au Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement et est assujetti à la réglementation environnementale québécoise. D’ailleurs, en janvier, l’Autorité portuaire de Trois-Rivières a déposé un avis de projet au ministère concernant son projet similaire d’agrandissement de ses installations et ce dernier lui a remis une directive pour l’élaboration de son étude d’impact. Cela illustre bien qu’un port, même fédéral, demeure assujetti aux normes environnementales québécoises.
Or, face au refus des dirigeants du port de Québec de reconnaître la compétence québécoise, le 31 juillet, le ministre Heurtel publiait un communiqué indiquant «que le gouvernement fera valoir les préoccupations du Québec en participant étroitement au processus d’évaluation environnementale fédéral» mis sur pied par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. Donc, aucune étude d’impact élaborée selon les exigences québécoises, pas d’audiences publiques du BAPE sur ce projet et plus de certificat d’autorisation du gouvernement à délivrer. Un autre éventuel conflit constitutionnel évité! Une autre infrastructure permettant le déploiement de l’industrie des hydrocarbures qui «échappe» aux exigences légales du Québec, tout en permettant de «repérer les occasions de développer et de transporter l’énergie» comme convenu par tous les premiers ministres provinciaux, dont M. Couillard, au Conseil de la fédération de juillet.
Le communiqué du 31 juillet pousse l’affront jusqu’à indiquer que selon le ministre, «cette façon de faire s’inscrit dans l’esprit de l’Entente de collaboration Canada-Québec en matière d’évaluation environnementale». Il est certain que «l’esprit» est une chose plus malléable que les règles juridiques d’une entente entre deux organismes administratifs relevant de juridictions distinctes. L’entente dont il est fait mention fut signée en 2010 et «favorise la réalisation d’évaluations environnementales collaboratives» tout en « répondant aux exigences de la Loi sur la qualité de l’environnement» et prévoit la création de «commission d’examen conjoint» qui «réalise son mandat simultanément à celui de la Commission du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement chargée de tenir une audience sur le projet» dont l’entente garantit par ailleurs «l’indépendance et l’autonomie». Seul un esprit tortueux peut voir le respect de l’esprit de cette entente dans la décision du Québec de se contenter d’agir comme n’importe quel intervenant dans les limites du processus d’évaluation fédéral.
Tout gouvernement est libre d’établir ses priorités. Cependant, dans un État de droit, il doit se conformer aux lois et règlements en vigueur. Sinon, les tribunaux sont là pour lui rappeler ces exigences. En mai, après le sévère rappel à l’ordre de la Cour supérieure envers le ministre dans l’affaire des forages au large de Cacouna, nous pensions que ce dernier serait moins laxiste dans l’application des dispositions dont il a la responsabilité. Ses récentes décisions, certainement prises avec l’accord du premier ministre, montrent que ce n’est pas le cas et que les droits d’information, de participation des citoyens québécois ainsi que leur droit fondamental à un environnement sain et respectueux de la biodiversité pèsent peu comparativement aux intérêts politiques et financiers.