François Bourque, Le Soleil, publié le 28 juin 2014
Le projet d’agrandissement du port réduira peu l’espace de navigation sur le fleuve, mais aura forcément un effet sur l’aspect visuel. Ajouter
(Québec) Un vent de face du nord-est soufflait mercredi après-midi sur la Baie de Beauport. Des pointes à 25 noeuds, assez pour soutenir pendant de longues secondes le vol des planchistes, mais un vent trop instable pour les insatiables.
Un début de saison médiocre, le pire en cinq ans, jette un costaud, qui venait de poser son équipement de kitesurf sur le sable.
Le vent se fait attendre, comme le printemps cette année, perçoit-il.
L’homme est un passionné. Deux semaines à Sept-Îles sur le bateau où il travaille. Les deux suivantes à Québec sur sa planche de kitesurf. Puis retour à Sept-Îles. Sa vie est ainsi rythmée comme une grande marée.
L’été sur la batture de Beauport, à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans ou à Sainte-Anne-de-Beaupré, selon la provenance du vent.
L’hiver, par moins 1000 sur la glace de la batture ou quelque part dans un champ, au «paradis sur la poudreuse».
Il appartient à la petite communauté des «surfeurs» de Québec. Quelques centaines, plusieurs regroupés dans l’Association des kitesurfers et véliplanchistes qui milite pour la vocation récréative de la Baie de Beauport.
Je suis tombé par hasard sur Yvon Lefebvre, 71 ans, son président fondateur et un des premiers à mouiller à la plage au début des années 80. À l’époque en planche à voile, aujourd’hui en faisant du kitesurf.
Il a connu la batture-dépotoir, où l’eau empestait les rejets d’eaux usées. C’était avant la construction des usines, mais il n’en a cure. Il ne s’est jamais préoccupé de la qualité de l’eau. N’a jamais été ni incommodé ni malade.
Il était à gonfler sa voile, au milieu de l’après-midi, à l’heure ou d’autres rangeaient la leur. Il venait de rater les meilleures puff de vent et la marée basse, mais ne s’en formalisait pas.
Ce n’est pas tous les jours que le vent entre du nord-est, entre les montagnes et l’Île, et permet le kitesurf sur la batture. Le plus souvent, le vent à Québec souffle du sud-ouest, ce qui repousse les cerfs-volants vers le large et rendrait le surf plus hasardeux. Peut-être dangereux. Ces jours de vents défavorables, le kitesurf s’exile à l’Île ou sur la Côte-de-Beaupré.
Depuis la langue de sable qui pointe de la batture vers les clochers de Saint-Ignace-de-Loyola, dans Beauport, j’ai compté une quinzaine de cerfs-volants et de planches à voile. Un petit mercredi de semaine.
La zone de plage était pratiquement déserte, comme le quai flottant pour la mise à l’eau des embarcations.
Je n’ai pas vu de clients sous les palapas ni aux tables des terrasses donnant une vue sur le large. La vraie saison n’était pas vraiment commencée encore.
J’ai pris le temps d’écouter le vent.
Le carillon des haubans de métal battant le mat des catamarans déserts alignés sur le sable.
Le claquement des toiles avant l’envol de cerfs-volants ou après l’atterrissage.
Le froissement des feuilles au bout des petits peupliers luttant pour rester debout. Celui des vagues chargées d’écume.
Le jet des fontaines rabattu sur les dalles de béton aux pieds de quelques enfants qui s’enfuyaient pour revenir aussitôt.
La plage de Beauport a sa musique, différente de celle de la ville. Une musique sans autos, camions ou autobus; sans sirènes ni klaxons, sans portes qui claquent.
Ici, un orchestre d’instruments à vent, puissant mais fragile. Lorsque le vent faiblit, la musique s’éteint. On n’entend plus alors que les détonations et le rock pesant des machines et des activités de transbordement du port, derrière la butte.
C’est là que je voulais en venir. À cette relation ambivalente entre le port et les plaisanciers.
La plage de la Baie de Beauport est née du port. Ce sont les quais qui ont provoqué l’ensablement de la batture. Pas de port, pas de plage de sable.
Les équipements de la plage, ses jolis pavillons de bois et ses aires de jeu ont aussi été aménagés par le Port, qui en a fait legs à Québec pour le 400e. Pas de Port, pas d’aménagements.
Il est assez ironique que le Port de Québec, qui fut le géniteur et le bienfaiteur de la Baie de Beauport, en soit aussi la principale menace.
Le projet d’agrandissement du port amputera l’extrémité de la plage de sable et réduira l’aire de navigation de plaisance devant la baie.
En soi, ça ne semble pas si dramatique. L’essentiel de la plage ne sera pas touché et il restera toujours de l’espace pour naviguer sur le fleuve. Même avec le chenal à proximité.
Le dommage que causerait un prolongement du quai serait principalement visuel.
La région a dépensé des centaines de millions de dollars depuis 20 ans pour améliorer la bordure fluviale, ses accès et perspectives. Le projet d’agrandissement des quais aurait l’effet contraire. Un vent de face.
Il ajouterait une barrière visuelle entre la plage et la ville. Or cette proximité batture-ville fait partie de la qualité de vie et de la diversité des paysages de Québec. Ne pas s’en préoccuper serait contre nature.
L’autre danger du projet est qu’un allongement des quais accentue l’ensablement de la Baie de Beauport et y rendre la navigation impraticable. C’est vraisemblable, mais cela reste à démontrer.
Le débat sur l’agrandissement des quais du Port de Québec rappelle, toutes proportions gardées, la récente querelle sur les silos à granules.
Un conflit d’usages entre le développement économique et la vocation récréotouristique.
On sait que le Port est capable du meilleur et du pire. Même s’il n’y est pas strictement tenu, il a promis de consulter correctement sur son projet d’agrandissement. C’est la moindre des choses.
Je termine sur ces deux éléments de réflexion.
La cohabitation d’une plage de baignade (celle de Beauport le serait la plupart du temps) et d’une zone industrielle lourde pose un défi urbain dont beaucoup de villes aimeraient avoir le luxe.
Si un port ne peut pas s’installer sur le bord de l’eau et y bâtir ses quais, où le pourra-t-il?