Le bar rayé du Saint-Laurent fait mal paraître le fédéral

La SNAP Québec craint une perte de crédibilité du processus de désignation de la Loi sur les espèces en péril au Canada.

David Rémillard, Radio-Canada, publié le 30 octobre 2022

La confusion entre le statut légal et le statut scientifique du bar rayé du Saint-Laurent se maintient et s’étirera pour au moins une autre année. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) repousse minimalement à 2023 son évaluation des populations de l’espèce, dont celle qui nage à Québec.

La situation est devenue éminemment complexe.

Complètement disparu du fleuve dans les années 60, le bar rayé a été réintroduit dès 2002 dans le cadre d’un programme piloté par le Québec. La population a été reconstituée à partir de larves et de jeunes poissons prélevés dans la rivière Miramichi, au Nouveau-Brunswick.

Les scientifiques ont d’emblée attribué ces nouveaux résidents du fleuve à la population historique du Saint-Laurent, soit celle disparue depuis des décennies. Son aire de répartition connue s’étend depuis la rivière Saguenay jusqu’à Sorel.

En croissance, mais pas encore sortie d’affaire, la population réintroduite a été ajoutée, en 2011, à la liste des espèces en péril du gouvernement fédéral. Le COSEPAC, qui donne des recommandations à Ottawa sans toutefois détenir de pouvoir législatif, lui a attribué le statut en voie de disparition l’année suivante, en 2012.

Le statut n’a été officialisé que sept ans plus tard par le Conseil des ministres du gouvernement Trudeau.Début du widget .

Coup de théâtre

Considérant le succès du programme de réintroduction, tout le monde s’attendait à une amélioration du statut du bar rayé du Saint-Laurent lors de la dernière évaluation du COSEPAC, en 2019.

Mais le comité a plutôt décidé de corriger une erreur du passé. Quelques mois après l’adoption du statut en voie de disparition par le fédéral, le comité a désigné le bar rayé du Saint-Laurent comme espèce disparue. L’erreur admise par le COSEPAC est d’avoir assimilé la population réintroduite à la population ancienne.

Le comité croit qu’il faut les évaluer comme deux populations distinctes.

D’un point de vue scientifique, la situation se résume ainsi : le bar rayé du Saint-Laurent n’existe plus et le bar rayé réintroduit est sans statut. Il devait faire l’objet d’une évaluation cet automne, mais le COSEPAC a repoussé ses travaux à l’an prochain.

La révision du premier rapport a pris plus de temps que prévu, largement en raison de la charge de travail augmentée par la pandémie de COVID-19. La version révisée du rapport n’a pas encore été reçue, explique Nicholas Mandrak, professeur à l’Université de Toronto et responsable de la révision des populations de bar rayé au COSEPAC.

Il est à noter qu’en raison de la COVID et des ressources limitées, le COSEPAC a réduit le nombre d’évaluations d’espèces de 50 % depuis 2020 pour chacune de ses rencontres bisannuelles. Cela a créé un retard dans les rapports […] et pourrait retarder encore davantage la révision des populations de bar rayé, ajoute-t-il.

Discordance

Pendant ce temps, le statut légal n’a pas suivi en raison des longs délais du fédéral pour entériner les recommandations du COSEPAC. Au regard de la Loi sur les espèces en péril, la population ancienne du Saint-Laurent existe toujours.

Le fédéral applique encore le statut en voie de disparition recommandé en 2012, sans considérer la mise à jour de 2019. Il est donc interdit de pêcher le poisson à l’ouest de Rivière-du-Loup et des mesures plus sévères protègent son habitat essentiel, dont la baie de Beauport. À l’est, la population du golfe du Saint-Laurent fait le bonheur des pêcheurs sur les côtes de la Gaspésie.

Ironiquement, il n’y aurait jamais eu autant de bars rayés dans le fleuve.

Le Québec a même cessé ses ensemencements depuis trois ans afin de ne pas saturer l’habitat du Saint-Laurent. Des frayères naturelles ont été découvertes et des captures accidentelles de bars rayés ont été compilées jusqu’à Montréal par la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs.

Malgré les pressions du gouvernement Legault et des pêcheurs sportifs, rien n’y fait à Ottawa. Le gouvernement a plutôt choisi de renvoyer le plus récent rapport au COSEPAC et n’a pas l’intention d’agir avant la prochaine évaluation du comité.

Perte de confiance

Toute cette situation a le potentiel de causer une perte de confiance envers le processus de désignation des espèces en péril au Canada, déplore Alain Branchaud, biologiste et directeur général de la Société pour la nature et les parcs, section Québec (SNAP Québec).

S’il est un partisan de la conservation de la biodiversité, il croit que les statuts attribués par le gouvernement fédéral se doivent d’être à jour et appuyés par une base légale et une base scientifique qui soient solides et rigoureuses, plaide-t-il en entrevue à Radio-Canada.

Le cas du bar rayé du Saint-Laurent est selon lui absurde. Il juge urgent de régulariser son statut afin de témoigner de la situation réelle, penchant davantage vers la voie d’expansionIl faut distinguer bar rayé du Saint-Laurent et bar rayé dans le Saint-Laurent.

« Tu ne peux pas affecter l’espèce, elle n’existe plus! Elle est morte. […] C’est comme si tout le monde se mentait en prenant en compte que le bar rayé a un statut en voie de disparition. »— Une citation de  Alain Branchaud, directeur général, SNAP Québec

Le statut du bar rayé du Saint-Laurent est d’ailleurs venu jouer dans l’évaluation du défunt projet de terminal de conteneurs Laurentia, à Québec. L’Agence d’évaluation d’impact du Canada, qui a rendu son rapport final l’an dernier, estimait le prolongement de la ligne de quai dans la baie de Beauport comme une menace à l’habitat essentiel du bar rayé.

Il est regrettable que nous n’ayons pas pu réussir à concilier l’avis de nos experts avec celui des spécialistes du ministère des Pêches et des Océans et de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, particulièrement sur la question du bar rayé, avait réagi le PDG du Port de Québec, Mario Girard.

C’est la crédibilité de la Loi sur les espèces en péril qui devient mise à partie là-dedans, selon Alain Branchaud. S’il y a abandon de certains projets à cause d’espèces qui n’ont pas le bon statut, il y a un problème.

Sans dire que Laurentia était un bon projet, M. Branchaud réitère l’importance de la rigueur pour maintenir la crédibilité du processus d’évaluation.

Ministres muets

Au gouvernement fédéral, les ministres Steven Guilbault (Environnement) et Joyce Murray (Pêches et Océans) s’en sont remis à l’appareil administratif.

Oui, il y a une certaine confusion concernant le statut de cette population, admet une porte-parole de Pêches et Océans Canada par courriel. C’est pourquoi l’évaluation qui a identifié la population de bar rayé du fleuve Saint-Laurent comme disparue en 2019 a été renvoyée au COSEPAC.

La porte-parole n’a cependant signalé aucune intention du ministère d’agir plus rapidement pour dénouer l’impasse. Elle a confirmé au passage l’application stricte du statut en voie de disparition et des mesures qui s’y rattachent.

Entre-temps, les poissons existants sont inscrits sur la liste des espèces en voie de disparition en vertu de la loi et protégés en vertu de cette loi à ce titre.

Les commentaires sont fermés.