David Rémillard, Radio-Canada, le 16 juillet 2021
L’Administration portuaire de Québec a injecté plus de 13,8 millions de dollars pour documenter et promouvoir son projet d’agrandissement dans la baie de Beauport, dont la dernière mouture était le terminal de conteneurs Laurentia, récemment rejeté par le fédéral.
Selon des données obtenues par des citoyens en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, remises à Radio-Canada et ensuite authentifiées, la grande majorité des montants investis par le Port de Québec ont servi à réaliser des études, des analyses et à développer des mesures d’atténuation.
Sur le total des dépenses calculées à 13,8 millions de dollars, 11,1 millions de dollars ont été consacrés à ces travaux de documentation, entre 2015 et mai 2021. Contenant des milliers de pages d’analyses et de travaux scientifiques, notamment commandés à la firme privée Englobe, les études ont toutes été remises à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC).
Principales dépenses (2015-2021)
- Études, analyses, mesures (AEIC) : 11 117 868 $
- Lobbyisme : 712 493 $
- Stratégie média : 463 707 $
- Articles dans les journaux (publireportages) : 446 920 $
Source : Administration portuaire de Québec
Cette même agence a publié, malgré toutes les données et les mesures présentées, un avis défavorable au projet de terminal de conteneurs, lequel supposait la construction d’une ligne de quai de 610 mètres dans la baie de Beauport.
Deux semaines plus tard, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il ne donnerait pas son appui, sonnant la fin du projet Laurentia. Les effets nocifs appréhendés sur la santé humaine, l’environnement et la qualité de l’air ont fait partie des principaux écueils.
La manne pour Don Krusel
Le directeur général du projet de terminal de conteneurs Laurentia, Don Krusel, a empoché à lui seul quelque 700 000 $ en honoraires, entre l’été 2018 et mai 2021, pour un salaire annuel estimé à 230 000 $. Son embauche avait été annoncée le 27 août 2018.
Le PDGprésident-directeur général de l’Administration portuaire de Québec (APQ), Mario Girard, présentait M. Krusel comme une figure majeure du monde maritime nord-américain
et y voyait un ajout important de leadership pour la crédibilité de Laurentia.
D’importants montants ont également été consentis aux activités de lobbyisme visant à convaincre les deux paliers de gouvernement d’appuyer le projet évalué à 775 millions de dollars. Si le Port de Québec était parvenu à obtenir 500 millions de dollars en financement privé, il avait besoin de 180 millions de dollars d’argent public pour compléter son montage financier.
L’APQ a pressé le pas en 2020 et en 2021, investissant plus de la moitié total du montant dans les dernières phases d’évaluation du projet.
Les données contenues dans le document envoyé à Radio-Canada n’incluaient pas les salaires des employés de l’APQ qui ont travaillé sur Beauport 2020, d’abord un projet de terminal de vrac liquide, puis Laurentia.
La facture des coûts liés aux projets d’agrandissement de l’APQAdministration portuaire de Québec est donc sous-estimée dans cette analyse.
David contre Goliath
Pour la citoyenne Véronique Lalande et fondatrice de l’Initiative Vigilance port de Québec, ces chiffres démontrent à quel point les opposants aux projets expansionnistes du port se battaient à armes inégales.
On n’a clairement pas les mêmes moyens financiers. […] La disproportion de la capacité est immense. C’est presque un miracle qu’on ait réussi à tenir jusqu’au bout pour que l’AEIC fasse son travail
, a-t-elle réagi jeudi.
Ne serait-ce qu’en visibilité dans l’espace public, Mme Lalande soutient qu’il était impossible de rivaliser avec les campagnes promotionnelles de l’APQAdministration portuaire de Québec, autant dans les médias traditionnels que les stratégies de communication de masse.
Chiffres à part, elle rappelle que plusieurs citoyens ont gardé le fort de façon bénévole, sur leur temps et avec leur argent, alors que le Port de Québec peut compter sur des employés consacrés à son développement. Ces gens-là travaillent à temps plein, ils ont des infrastructures.
« C’est épuisant. Ça soulève des questions sur la charge qu’on met sur les citoyens. » — Véronique Lalande
Véronique Lalande s’insurge finalement du fait que l’APQAdministration portuaire de Québec, qui exploite des installations sur des terrains fédéraux, et donc publics, ne craint pas d’investir massivement des sommes malgré l’absence de consensus dans la population.
Elle plaide notamment pour des mécanismes qui viendraient limiter l’argent qu’il est possible de consacrer dans le cadre des processus d’évaluation comme celui qui vient de se terminer pour Laurentia. En tant qu’organisme public relevant du gouvernement fédéral, Mme Lalande souhaiterait davantage de retenue.
Dans la même veine, des opposants pensent même que le président du port, Mario Girard, aura éventuellement des comptes à rendre au conseil d’administration de l’APQ.
Pas d’argent public
L’APQAdministration portuaire de Québec rejette pour sa part la thèse selon laquelle les fonds investis n’auront rien donné en bout de piste.
Frédéric Lagacé, directeur adjoint aux affaires publiques et contenus stratégiques de l’APQAdministration portuaire de Québec, indique que tous les documents remis aux ministères provinciaux ou fédéraux demeurent utiles et ont contribué à faire avancer les connaissances
sur le fleuve Saint-Laurent et son environnement.
Sur l’argent investi dans Laurentia dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, l’APQAdministration portuaire de Québec rappelle qu’elle n’est pas admissible à un financement public depuis 1999 en vertu de la Loi maritime du Canada.
Elle prévoit que les administrations portuaires canadiennes doivent obligatoirement financer entièrement ses opérations à même les revenus qui viennent de ses activités
.
Pour être clair, cela veut dire qu’il n’y a pas de denier public pour assumer les coûts d’opération dans lesquels sont inclus les coûts de Laurentia
, insiste M. Lagacé.
Les fonds consacrés à Laurentia n’ont par ailleurs pas empêché le Port de Québec d’avoir une année record d’investissements, en 2020, et à poursuivre les améliorations de ses infrastructures en 2021.