Julien Arsenault, La Presse, 12 juin 2021
Des obstacles se dressent devant les importants projets de terminaux portuaires de Contrecœur, dans la région de Montréal, et Laurentia, à Québec. Les défis sont différents, mais dans les deux cas, leur sort est entre les mains des autorités fédérales. Survol.
Que s’est-il passé ?
La plus récente nouvelle concerne le projet d’agrandissement du port de Québec, qui a n’a pas passé le test de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada. Dans son rapport de plus de 300 pages publié jeudi, l’agence fédérale estime que les mesures d’atténuation proposées sont insuffisantes. Résultat : plutôt que de donner son feu vert, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Jonathan Wilkinson, a transmis le dossier au Conseil des ministres du gouvernement Trudeau, qui devra trancher. Rien n’empêche celui-ci d’aller à l’encontre de la décision de l’Agence.
« L’Agence met l’accent sur les impacts locaux, mais le gouvernement va aussi considérer l’ensemble des éléments », a tempéré le président-directeur général du Port de Québec, Mario Girard, qui ne s’est pas montré surpris de la tournure des évènements.
Nous allons continuer d’améliorer le projet, ce n’est pas la fin du processus.
Mario Girard, président-directeur général du Port de Québec
Le portrait est différent du côté de Contrecœur, puisque le projet a obtenu le feu vert d’Ottawa. La problématique concerne le chevalier cuivré, espèce menacée de disparition. En mai dernier, le gouvernement Trudeau a protégé une partie de l’habitat de ce poisson, qui est partiellement chevauché par le chantier. L’enjeu, pour le Port de Montréal, est de tenter d’obtenir un permis de Pêches et Océans Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Celle-ci ne prévoit que trois exceptions pour intervenir dans un habitat essentiel désigné officiellement.
Dans les deux cas, les promoteurs devront vraisemblablement s’armer de patience. Les processus pourraient s’échelonner sur de nombreuses semaines, voire des mois.
Les deux projets sont-ils similaires ?
Non. À Contrecœur, on ambitionne de construire un terminal pour manutentionner annuellement 1,15 million de conteneurs « équivalent vingt pieds » (EVP), ce qui permettrait de doubler la capacité de l’Administration portuaire de Montréal. La facture prévue est de 750 à 950 millions de dollars et le Port peut compter sur un financement de 300 millions de la Banque de l’infrastructure du Canada et de 55 millions du gouvernement québécois.
Quant à lui, le modèle d’affaires du projet Laurentia s’appuie sur sa capacité à accueillir d’immenses navires, dont la capacité dépasse 15 000 conteneurs, qui ne peuvent actuellement se rendre jusqu’à Montréal en raison de leur tirant d’eau trop élevé. Québec vise une capacité maximale de 700 000 EVP pour son terminal. Essentiellement, le projet estimé à 775 millions de dollars propose d’ajouter une ligne de quai en eau profonde de 610 m.
Les deux projets ont-ils leur raison d’être ?
Les avis divergent en ce qui a trait aux ambitions de Laurentia. L’expert en transport maritime et professeur à l’Université Hofstra, à New York, Jean-Paul Rodrigue milite en faveur du projet de Québec.
« À New York, il y a eu des investissements de l’ordre de milliards de dollars pour accueillir des navires de plus grande taille », a-t-il exposé, au cours d’un entretien téléphonique. « Nous n’avons pas cet avantage au Québec. C’est dans ce contexte que le projet Laurentia s’inscrit : une réduction des coûts de transport. »
De son côté, Brian Slack, professeur émérite à l’Université Concordia et spécialiste du transport maritime, semble moins convaincu. Oui, la taille des porte-conteneurs augmente, explique-t-il, dans un courriel, « mais les plus grands ne desservent que de grands ports, comme en Europe, où vous comptez plus de 400 millions d’habitants, ainsi qu’en Asie, où il y en a plus de 1 milliard ».
Pour le port de Montréal, l’enjeu concernerait la capacité. Selon une étude réalisée par le professeur de gestion des transports à HEC Montréal Jacques Roy, « de nouvelles technologies de manutention » pourraient permettre à la capacité du port d’atteindre 2 millions de conteneurs EVP. Par la suite, il faudrait se tourner vers Contrecœur, soulignait le document.
« C’est une question de désengorgement à Montréal », a renchéri M. Rodrigue, de l’Université Hofstra.
Quel signal serait-il envoyé en cas de blocage ?
Pour cet expert en transport maritime, il y aura quand même des effets environnementaux, mais ils seront différents.
« Si l’on casse ces projets, le trafic devra passer ailleurs, a observé M. Rodrigue. Il y aura aussi du trafic par camions pour acheminer la marchandise. Si on casse Contrecœur et Laurentia, quel est l’avenir à long terme du commerce international maritime [au Canada] ? On va passer davantage par Vancouver, Prince Rupert et Halifax, qui n’a pas de liaison ferroviaire adéquate ? »
Il a également souligné que l’industrie du transport maritime était entrée dans un processus de décarbonation. Si l’on met des bâtons dans les roues de projets de développement, les occasions de participer à ces avancées risquent d’être moins nombreuses, a estimé l’expert.