Eric-Pierre Champagne, La Presse, 26 mai 2021
Après huit ans de retard sur les exigences prévues par la Loi sur les espèces en péril, l’habitat essentiel du chevalier cuivré est dorénavant protégé. Une décision d’Ottawa à laquelle s’est opposé le gouvernement Legault, qui craint « des impacts socioéconomiques importants au Québec » pour le projet de terminal portuaire de Contrecœur, qui chevauche une partie de l’habitat de ce poisson unique au monde menacé de disparition.
La ministre des Pêches, Bernadette Jordan, et le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, ont signé un arrêté ministériel qui active l’interdiction de détruire l’habitat essentiel du chevalier cuivré en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Celui-ci a été publié mercredi dans la Gazette du Canada. Cet habitat se trouve en Montérégie, principalement dans le fleuve Saint-Laurent et la rivière Richelieu.
Le gouvernement fédéral s’était engagé à protéger légalement l’habitat essentiel de l’espèce après que le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) et la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP) eurent déposé une action judiciaire en janvier dernier pour forcer Ottawa à respecter les exigences de la LEP. Celle-ci prévoit qu’un arrêté ministériel entre en vigueur 180 jours après l’adoption d’un plan de rétablissement d’une espèce en péril. Pour le chevalier cuivré, cette échéance remonte au 17 décembre 2012.
Québec s’y oppose
Le texte publié dans la Gazette du Canada indique que le gouvernement du Québec s’est opposé à la « prise de l’arrêté ». La province a rappelé qu’elle « assure en priorité le leadership des activités liées à la protection et au rétablissement des espèces en péril sur son territoire ». Québec a aussi fait référence « aux outils légaux et réglementaires en vigueur qui permettraient d’assurer la protection et de promouvoir le rétablissement des espèces en péril de façon efficace ». Finalement, « la décision de protéger l’habitat essentiel du chevalier cuivré en vertu de la LEP pourrait générer des impacts socioéconomiques importants au Québec », a-t-on conclu.
Une affirmation qui fait bondir Alain Branchaud, directeur général de la SNAP. « C’est ahurissant de prétendre que le Québec a en main des outils de protection efficaces pour ses espèces en péril. Le gouvernement fait même tout pour contourner l’application de ses propres lois, comme l’illustrent bien les dossiers de la rainette faux-grillon et du ginseng. Il n’a démontré aucune volonté d’améliorer sa propre loi. Confier entièrement la protection du chevalier cuivré au Québec dans l’état actuel du droit serait un désastre annoncé. »
Selon le biologiste Louis Bernatchez, spécialiste du chevalier cuivré, l’espèce est au bord de l’extinction avec tout au plus quelques centaines d’individus adultes encore en vie.
On a une seule population. Et si on perd cette population, on perd l’espèce, c’est aussi simple que ça.
Le biologiste Louis Bernatchez, à propos du chevalier cuivré
Le ministère québécois de l’Environnement n’a pas voulu réagir à la nouvelle. Sa porte-parole a indiqué à La Presse que le dossier relevait plutôt du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, qui n’a pas été en mesure de commenter la nouvelle avant l’heure de tombée.
Par courriel, l’Administration portuaire de Montréal a réitéré sa volonté « de respecter l’ensemble de la réglementation applicable et de déployer les meilleures mesures de compensation pour gérer les impacts de façon responsable, des mesures qui ont été développées et continuent d’être améliorées en concertation avec les autorités et experts concernés ».
Des mesures de compensation contestées
Mais selon Louis Bernatchez, le succès de mesures de compensation « est très peu probable ». Dans un rapport commandé par la SNAP, M. Bernatchez et trois autres biologistes ont conclu que « les impacts négatifs sur le chevalier cuivré […] sont sous-estimés » et que « les avantages des mesures proposées pour compenser la perte d’habitat essentiel demeurent spéculatifs, au mieux hypothétiques ».
Une étude menée par Pêches et Océans Canada en 2006 concluait d’ailleurs que 63 % des projets de compensation pour des habitats de poissons s’étaient avérés des échecs.
Le projet d’agrandissement du port à Contrecœur, estimé à 750 millions de dollars, permettrait de créer 5000 emplois pendant sa construction et environ 1000 emplois par la suite.
Le projet a déjà obtenu le feu vert d’Ottawa. Le promoteur devra néanmoins obtenir un permis en vertu de la LEP. Or, celle-ci ne prévoit que trois exceptions pour intervenir dans un habitat essentiel désigné officiellement, soit des activités « de recherche scientifique sur la conservation des espèces menacées », une activité qui profite à l’espèce ou « une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente ».
Pêches et Océans Canada a déjà indiqué que les projets de développement industriel satisfont généralement à la LEP, car ils ne ciblent habituellement pas les espèces sauvages et ne touchent donc l’espèce que de façon incidente.
Une affirmation qui ne rassure pas Geneviève Paul, directrice du CQDE. « On va suivre l’émission des permis de près pour assurer le respect intégral de la LEP. »