Laurentia vu de Prince Rupert

Michel Beaulieu, biologiste

Journal de Québec, le 22 janvier 2021

LETTRE OUVERTE/ Bien qu’il soit inconnu à Québec parce que jamais présenté à la population par le Port de Québec, Don Krusel est depuis le 27 août 2018 le « managing director » du projet Laurentia, repêché par le Port pour ses glorieux antécédents, ses contacts et sa réputation de bon vendeur.  

En 1992, il est devenu président directeur général du Port de Prince Rupert en Colombie-Britannique, fonction qu’il a exercée jusqu’à sa retraite en 2017. Il a été l’artisan du « Project Silk » (Projet Soie) : l’aménagement à Prince Rupert d’un port à conteneurs de classe mondiale permettant de recevoir et de distribuer des biens de consommation provenant d’Asie aux marchés nord-américains.

2 ports différents

Prince Rupert est située au nord de la Colombie-Britannique (latitude 540 18’), c’est-à-dire, transposé sur la côte Atlantique, un peu au nord de Labrador City (latitude 520 95’). La ville bénéficie du port naturel libre de glace le plus profond d’Amérique du Nord. Contrairement à Québec, le terminal est éloigné à la ville plutôt qu’enclavé par elle : les trains et camions y entrent et en sortent sans la traverser. 

Prince Rupert a longtemps vécu de l’exploitation des ressources naturelles et de la pêche et a connu sa part de difficultés entre 1996 et 2016, sa population passant de 16 714 à 12 220 habitants (Gaspé en compte 15 000 et les quartiers Vieux-Limoilou et Maizerets 29 000). L’arrivée des conteneurs a contribué à réanimer une petite ville en déclin. En comparaison, l’économie de la région de Québec, 800 000 personnes, a le vent dans les voiles et n’a aucun besoin d’une telle injection, comme le rappelait récemment le maire Labeaume. 

Dans le mémoire (no. 848) qu’il a soumis en anglais à l’Agence fédérale d’évaluation d’impact, Don Krusel écrit : « En se concentrant uniquement sur les impacts environnementaux spécifiques et, dans une perspective plus vaste, mineurs au site local, sans tenir compte de façon appropriée du cumulatif des bénéfices et opportunités économiques, sociaux et environnementaux dépassant les limites physiques du « projet », le rapport de l’Agence se prive de reconnaître l’importance écrasante du projet Laurentia pour le Canada» 

Milieu naturel à protéger

Donc le milieu exceptionnel que représente la baie de Beauport et l’effort des 20 dernières années pour réintroduire le bar rayé dans le Saint-Laurent, de même que les résidents, les paysages et l’histoire de la ville de Québec, sont de banals enjeux locaux, des chiures de mouches (myopic), qui devraient être balayés de la main compte tenu de l’importance irrésistible du projet Laurentia, son projet, pour le Canada. 

Du lieu lointain où il opère, le «managing director», fort d’une carrière de 25 ans à la latitude de Labrador City, ne semble pas avoir conscience de la qualité des milieux naturels et urbains où il entend implanter Prince Rupert 2. Ou bien, s’il en a conscience, il s’en moque éperdument. 

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