Le projet Laurentia retardé

François Bourque, Le Soleil, publié le 12 janvier 2021

CHRONIQUE / Le Port de Québec renonce à mettre en chantier le projet Laurentia en 2021, comme il projetait de le faire.

Les appels d’offres qui devraient être lancés ce mois-ci sont repoussés. La mise en opération du terminal de conteneurs, initialement prévue pour 2024, s’en trouvera de facto retardée d’au moins un an.

Jusqu’à la fin de l’automne, le Port de Québec, avec l’appui de l’administration Labeaume, insistait pour une décision rapide du gouvernement fédéral.

Le dépôt du rapport préliminaire de l’Agence fédérale d’évaluation d’impact a cependant changé la donne.

Conscient des inquiétudes semées par ce rapport, le Port de Québec a fait un virage à 180 degrés. Il a lui-même demandé (et obtenu) que soit repoussé le rapport final de l’Agence et la décision gouvernementale.

Dans une lettre adressée à l’Agence le 23 décembre, le Port explique avoir besoin de temps pour rassembler des informations supplémentaires sur le projet.

Mais ce qu’il cherche avant tout, c’est du temps pour calmer le jeu dans Limoilou. Le Port estime qu’il manque de nuances dans les conclusions du rapport préliminaire et que cela a semé inutilement de l’inquiétude.

Il veut du temps pour préparer «une rencontre avec la communauté de Limoilou». À l’évidence, l’acceptabilité sociale reste un obstacle important sur la route du projet Laurentia.

On en saura plus long sur les délais requis d’ici quelques semaines, mais il est déjà acquis le projet ne pourra pas démarrer cette année, confirme le PDG Mario Girard.

Outre l’enjeu des perceptions de risque, le directeur de Laurentia, Dan Krusel, adresse plusieurs reproches à l’Agence d’évaluation d’impact dans un mémoire daté du 16 décembre. Je résumerais comme suit:

1- Avoir trop mis l’accent sur les enjeux locaux autour du site de Laurentia (32 hectares).

2- Avoir négligé le caractère «essentiel» d’une nouvelle chaîne d’approvisionnement par conteneurs pour l’économie du Québec et du Canada.

3- Avoir livré une version déséquilibrée des impacts environnementaux du projet en passant sous silence que Laurentia permettrait de réduire les gaz à effet de serre.

4- Avoir omis de dire qu’il n’y a pas d’autres sites possibles sur le St-Laurent pour implanter pareil terminal de conteneurs.

J’ouvre ici une parenthèse.

Des lecteurs m’ont souvent demandé ces derniers mois pourquoi ne pas construire le terminal sur la rive Sud, sur le site de l’ancien projet méthanier Rabaska par exemple.

Ils font valoir que cela éviterait l’impact négatif sur un quartier résidentiel comme Limoilou et que cela rapprocherait le terminal de la grande ligne de chemin de fer du CN.

Cela est juste.

Le Port de Québec a d’ailleurs envisagé ce scénario, mais l’a ensuite écarté. L’important nivelé entre un quai aux limites de Lévis-Beaumont et la voie ferrée en haut de la falaise aurait posé des contraintes de logistique et de coûts insurmontables, estime le Port.

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Cela n’a pas beaucoup attiré l’attention l’automne dernier. Moins que les impacts appréhendés sur la qualité de l’air ou l’habitat des poissons.

Mais l’Agence d’évaluation d’impact s’est aussi intéressée aux effets du projet sur le paysage. Son analyse repose sur des simulations réalisées par le Port à partir de 21 points de vue à différents moments de l’année.

Ceux-ci ont été choisis pour répondre aux préoccupations de citoyens et de groupes environnementaux, explique l’Agence.

On n’en sera pas étonné. L’impact visuel varie selon les lieux. Faible ou inexistant dans les «unités de paysage» du Cap-Blanc, de Limoilou, de Beauport ou du centre-ville de Québec.

Plus important depuis le fleuve, Lévis, la pointe de l’île ou la terrasse Dufferin, un des points de vue les plus emblématiques de Québec.

«De ce point de vue (la terrasse), les observateurs auraient une vue ouverte sur le projet», note l’Agence.

Celle-ci fait cependant le pari que le «regard de l’observateur pourrait être davantage porté vers le fleuve Saint-Laurent, l’île d’Orléans ou la ville de Lévis que vers le secteur industriel du port de Québec».

Il fait la même analyse pour les vues depuis la Pointe de l’île. «Le paysage portuaire actuel absorberait partiellement les nouvelles infrastructures qui seraient mises en place», croit l’Agence.

Question de point de vue, si je puis dire. On pourrait aussi penser que les grues du terminal vont attirer les regards plutôt que de se fondre dans le paysage.

L’impact visuel sera plus lourd depuis Lévis, croit l’Agence. Depuis la rive, les nouvelles structures dépasseraient en hauteur la ligne d’horizon. C’est aussi le cas des installations actuelles du port de Québec, mais le paysage s’en trouvera modifié «significativement», prévient l’Agence.

L’impact le plus lourd sera sans surprise celui dans la baie de Beauport. Selon les endroits, la vue du centre-ville et du Château Frontenac sera obstruée en tout ou en partie par les structures en hauteur.

Les écrans que projette le Port pour atténuer les impacts sonores et visuels du terminal vont eux-mêmes contribuer à bloquer le paysage.

L’agence semble se satisfaire que le Port s’engage à choisir de jolies couleurs pour ses écrans et équipements; qu’il ajoute des conteneurs de service et y intègre des végétaux.

C’est sans doute mieux que rien, mais cela ne remplacera jamais la perte définitive du large paysage depuis la plage de la batture, seule plage au fleuve où il est permis de se baigner à Québec.

L’image ci-jointe, tirée d’un document produit discrètement par le Port l’automne dernier, donne une idée de cet impact.

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«Les hommes passent, la géographie reste», se plaît à répéter le géographe à la retraite Léonce Naud, militant de la première heure des accès au fleuve et de la baignade au centre-ville.

Je suis bien d’accord.

La nouvelle «géographie» de la batture de Beauport sera là pour rester. D’où l’importance de s’assurer que c’est bien ce qu’on veut avant d’autoriser le projet Laurentia.

Plus tard, il sera trop tard.

Même si on le voulait dans quelques années ou décennies, cette géographie nouvelle sera difficile à découdre, bien plus que les vilaines autoroutes du centre-ville dont on finit à la longue par avoir la peau.

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