Des rainettes sur le site du futur port à Contrecoeur?

Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 7 décembre 2020

Le rapport d’évaluation environnementale du futur port de Contrecœur confirme qu’on retrouve un « habitat essentiel » de la rainette faux-grillon, légalement protégé, sur les terrains du Port de Montréal. Le document estime toutefois que le projet n’empiétera pas sur cet habitat, ce qui aurait compromis ou retardé la construction du terminal de conteneurs. Une information impossible à vérifier, le gouvernement du Québec ayant refusé de transmettre au Devoir les rapports des inventaires réalisés sur le terrain, malgré une demande d’accès à l’information.

La rainette faux-grillon, qui a déjà perdu plus de 90 % de son habitat au Québec, est classée comme étant « menacée » en vertu de la Loi sur les espèces en péril du gouvernement fédéral. Afin de la protéger, Ottawa avait posé un geste inédit en 2016 en adoptant un « décret d’urgence » pour stopper la construction d’un projet résidentiel directement dans un habitat du petit batracien, à La Prairie. Une décision qui avait alors suscité des inquiétudes au gouvernement du Québec, qui redoutait que des mesures similaires compromettent d’autres projets de développement sur la Rive-Sud à Montréal.

Depuis 2018, à la suite d’un arrêté ministériel visant à faire respecter la Loi sur les espèces en péril (LEP), il est aussi interdit de détruire « l’habitat essentiel » de l’espèce sur les terres fédérales. Cette mesure légale s’applique donc aux terrains où le Port de Montréal souhaite construire son futur terminal, où transiteront chaque année jusqu’à un million de conteneurs et 400 000 camions à remorque.

Le rapport provisoire produit par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) confirme en effet que le petit batracien en péril est présent sur les terrains. On ne le retrouverait toutefois pas précisément à l’endroit où on construira le quai en béton de 675 mètres, une gare ferroviaire de triage de sept voies, une aire d’entreposage et de manutention des conteneurs, une cour ferroviaire intermodale, des bâtiments de support, des accès ferroviaires et routiers, ainsi qu’une aire de contrôle des camions.

« La rainette n’a pas été observée dans l’aire du projet, mais sa présence a été confirmée par des inventaires sur le territoire de l’Administration portuaire de Montréal, de même qu’en dehors de celui-ci », indique le rapport publié le 18 novembre. Le ministère fédéral de l’Environnement précise que cette population est « isolée » des autres populations et qu’elle se trouve « dans un état précaire ».

Refus du ministère

Dans le cadre du suivi de l’espèce, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) a mené des inventaires de rainette faux-grillon au cours des dernières années dans ce secteur. Le Devoir a donc tenté d’obtenir les rapports de ces inventaires, afin de vérifier si on retrouve le batracien menacé dans la zone prévue pour le développement du nouveau port industriel. Ces documents existent, a répondu le ministère, tout en refusant de les transmettre.

Les motifs du refus font référence à différentes dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics. On y stipule notamment que le gouvernement peut refuser de transmettre un renseignement qui contient « un secret industriel » ou qui est susceptible de porter « préjudice à la conduite des relations entre le gouvernement du Québec et un autre gouvernement ». Le ministère évoque également la possibilité de refuser de transmettre « une analyse produite à l’occasion d’une recommandation faite dans le cadre d’un processus décisionnel en cour ». Il n’a pas été possible d’obtenir plus de précisions de la part du MFFP sur les raisons précises qui justifient ce refus d’accès aux rapports des inventaires.

Au Port de Montréal, on se veut toutefois rassurant. « Le projet a été optimisé afin d’éviter le chevauchement de l’aire du projet avec l’habitat essentiel et la résidence de la rainette faux-grillon de l’ouest », assure la directrice des communications de l’Administration portuaire de Montréal, Mélanie Nadeau. Elle ajoute que des « mesures d’atténuation » sont prévues, dont « la mise en place de clôtures de déviation, l’aménagement de friches végétalisées » et « la modulation des périodes de certains travaux en dehors de la période de reproduction » de la rainette.

Habitat menacé ?

À la lecture du rapport provisoire produit par l’AEIC, le directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alain Branchaud, s’étonne de voir l’organisme d’évaluation conclure que le futur port « n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants », notamment pour la rainette. « L’Agence fédérale reconnaît la présence de la rainette sur presque la moitié du territoire détenu par le Port de Montréal, mais on dit qu’il n’y aura pas d’impact dans un avenir prévisible. » Les travaux lourds qui seront nécessaires pour les infrastructures routières et ferroviaires, ainsi que les autres perturbations découlant d’un projet industriel de cette ampleur, auront, selon lui, des impacts sur l’« habitat essentiel » de la rainette.

Or, souligne M. Branchaud, la législation interdit de détruire des éléments de cet habitat essentiel. La Loi sur les espèces en péril prévoit aussi l’interdiction de tuer ou de déranger des individus de l’espèce. « Si le gouvernement prend en considération l’application de sa propre loi, il ne peut pas autoriser ce projet dans sa forme actuelle, puisqu’il va affecter l’habitat essentiel de la rainette faux-grillon », conclut le biologiste.

Le gouvernement Trudeau ne l’entend pas ainsi, puisqu’il a déjà promis 300 millions de dollars de financement public pour le projet de 750 millions de Contrecœur, et ce, avant que l’étude d’impact du promoteur et l’évaluation environnementale du projet ne soient achevées.

Outre les questions soulevées pour la rainette, il est acquis que la construction du nouveau port détruira des portions de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson endémique à cette portion du Saint-Laurent qui est aussi classé « en voie de disparition ». Mais contrairement à ce qui est fait pour la rainette, le gouvernement fédéral n’a pas respecté les dispositions de la Loi sur les espèces en péril dans ce cas, rappelle Alain Branchaud.

Ottawa n’a jamais mis en œuvre les mesures légales qui interdiraient de détruire des « éléments » de l’habitat essentiel du chevalier cuivré. Normalement, cela aurait dû être fait dès décembre 2012. Pêches et Océans Canada n’a pas précisé quand cela devrait être fait. Un arrêté ministériel « est en cours d’élaboration », a simplement indiqué le ministère, par courriel.

HABITATS DE LA RAINETTE DÉTRUITS À LONGUEUIL

Dans le cadre de travaux de drainage de terrains situés près du boisé Du Tremblay, à Longueuil, un promoteur a mené récemment des travaux qui auraient endommagé ou détruit des habitats de la rainette faux-grillon. Selon ce que confirme par courriel le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), la Ville de Longueuil n’avait délivré aucun permis pour ses travaux. Environnement Canada a également été interpellé, en raison de la présence d’un « habitat essentiel » de l’espèce dans le secteur. Le MFFP précise toutefois que la législation québécoise ne permet pas de « protéger les habitats fauniques situés en terres privées, à l’exception des habitats cartographiés ou ayant un statut de refuge faunique ». Un tel projet est en cours d’étude, confirme le ministère, en raison de la « valeur écologique » des habitats de la rainette du boisé Du Tremblay. « Pour le moment, aucun statut de refuge faunique n’est en vigueur, mais nous travaillons de concert avec la Ville pour avancer le projet de refuge et permettre la restauration des habitats de la rainette faux-grillon sur leur propriété », précise le MFFP.

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