Les lourds impacts du projet Laurentia

François Bourque, Le Soleil, publié le 17 novembre 2020

CHRONIQUE / Le projet de terminal de conteneurs Laurentia, sur les battures de Beauport, aura des «effets négatifs importants» sur la qualité de l’air et la «santé humaine, physique et psychologique» estime l’Agence d’évaluation d’impact fédérale.

Dans son rapport préliminaire rendu public lundi, l’agence rappelle que la qualité de l’air est déjà fragile dans le quartier Limoilou.

Y ajouter des activités de transport et de manipulation de conteneurs par des navires, camions et trains va entraîner une «dégradation» supplémentaire mettant à risque la «santé humaine».

L’agence parle de rejet de «polluants atmosphériques gazeux», de poussières et de «particules fines» entraînant des dépassements horaires et journaliers par rapport aux normes.

Le danger se pose à la fois pour la période de construction et pour l’exploitation qui suivra.

Le Port prévoit manipuler jusqu’à 700 000 conteneurs par année, ce qui signifierait un à trois navires par semaine, 180 mouvements de camion par jour et 2.4 mouvements de train par jour.

Ce jugement sévère sur les impacts du projet Laurentia n’étonnera personne. Il reprend et documente des thèmes abondamment soulevés sur la place publique depuis plusieurs années.

L’argument de la qualité de l’air pourrait à lui seul être un motif suffisant pour écarter un projet qui, dans sa forme actuelle, altérerait la qualité de vie au centre-ville de Québec.

Ce recul serait contraire à l’objectif que toutes les administrations publiques disent poursuivre, y compris l’administration Labeaume. Ce qui n’a pas empêché le maire et son équipe d’appuyer le projet sans retenue et sans attendre le rapport d’impact.

On note ici avec une certaine admiration la dissidence des conseillères Suzanne Verreault (Limoilou) et Geneviève Hamelin (Maizerets-Lairet).

Pas de déchirements ni de claquements de porte en vue. Les discussions ont été sereines rapporte le maire, qui dit respecter et comprendre le choix de ses conseillères. 

On salue cette ouverture. L’administration Labeaume ne nous avait pas habitués, du moins pas en public, à tolérer la dissidence. Reste à voir si Mmes Verreault et Hamelin seront à nouveau candidates à l’élection de l’automne 2021.

Leur décision ne sera pas nécessairement liée à la posture de la ville sur le projet Laurentia. Mais si elles devaient se retirer, il sera intéressant de voir où logeront les candidats ou candidates qui prendraient la place dans l’équipe.

L’Université Laval a aussi donné son appui au projet Laurentia sans attendre le rapport d’impacts. Cela a indisposé nombre de ses étudiants et professeurs qui militent contre ce projet.

L’agence d’évaluation a documenté de façon minutieuse les impacts environnementaux probables du projet:

qualité de l’air, bruit, qualité de l’eau, milieux humides, poissons et oiseaux, luminosité dans la nuit, érosion possible de la plage et de son paysage; impacts sur les activités récréo-touristiques et commerciales; risques d’accident, de défaillance mécanique, de séisme ou événement météo; impacts sur les droits et activités des premières nations, etc.

Un tour de piste assez impressionnant, mais personnellement, j’ai été déçu du peu de cas qu’on a fait de l’impact sur le paysage de la plage, de ses vues larges sur l’eau et vers le Vieux-Québec.

Ce paysage urbain est absolument unique et sera irrémédiablement altéré par les grues et le mur de conteneurs à venir. La batture de Beauport est la seule où la baignade au fleuve est permise à Québec.

Le rapport convient que des vues seront obstruées et prend acte des intentions du port d’utiliser écrans et couleurs pour essayer de limiter les dégâts.

Mais cela ne pèse pas lourd dans l’analyse.

Pas aussi lourd que des poissons qu’on ne voit jamais et dont parfois même le nom nous était inconnu, jusqu’à ce qu’une agence le tire de l’eau et le jette dans la chaloupe des impacts appréhendés.

Cela en dit long sur notre relation au paysage. Et aux poissons.

J’aime croire que la vie des humains pèse plus lourd que celle des poissons ou des oiseaux dans l’évaluation d’un grand projet et des décisions politiques.

À court terme, ce n’est cependant pas la menace à la qualité de l’air dans Limoilou mais celle à la qualité de vie du bar rayé qui pourrait freiner le projet Laurentia.

La Loi sur les espèces en péril (LEP) protège actuellement l’aire de reproduction de ce poisson. Émettre un permis pour Laurentia serait actuellement illégal, laisse entendre l’Agence fédérale.

Le statut légal du bar rayé est cependant en révision.

Ce poisson a disparu des eaux du St-Laurent pendant 50 ans, avant d’être réintroduit à partir de 2002. Faut-il parler d’un poisson disparu, d’un poisson en voie de disparition ou d’un poisson en «voie d’apparition»?

Les incidences et protections légales vont en dépendre et les avocats vont avoir de quoi s’amuser.

Le Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC) doit faire le point dans un rapport attendu en avril 2022. Ce sera suivi d’une autre période de consultation de 24 à 36 mois.

Cela semble difficile à concilier avec l’agenda du Port de Québec qui voudrait mettre son projet en chantier l’an prochain.

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Les Premières Nations, dont les avis sont tenus en grande considération dans le processus d’évaluation d’impact fédéral, se sont aussi inquiétées des impacts sur l’habitat des poissons.

Pour une, la nation huronne-wendat a plaidé l’importance de sa relation avec la nature et a dit dépendre «en partie» de la pêche et de la chasse dans ce secteur pour son «alimentation traditionnelle» (esturgeon jaune et noir, doré, oiseaux migrateurs, etc).

«Le dérangement des pêcheurs pendant la phase de construction, de même que la nécessité d’adaptation des pêcheurs pendant la phase d’exploitation, sont importants», indique la nation dans son mémoire à l’Agence.

Cela n’a pas empêché l’ancien grand chef Konrad Sioui de donner au projet un appui sans réserve l’été dernier.

«Nos entreprises huronnes-wendat bénéficient des activités du Port de Québec et ce dernier est un service essentiel à notre développement et nos aspirations économiques dans le respect de nos valeurs», de dire M. Sioui. 

Cela suggère que pour les hurons-wendats, l’enjeu économique pèse plus lourd que les impacts possibles sur les activités traditionnelles.

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À la différence du BAPE sur le projet de tramway, le rapport de l’Agence fédérale sur Laurentia ne va pas à ma connaissance à l’encontre de données scientifiques ou empiriques connues.

Il ne donne pas non plus aux avis de citoyens «ordinaires» le même poids qu’à des études solides et analyses d’experts. Cela donne à ce rapport une crédibilité qui a fait défaut à celui du BAPE .

Le Port reproche à l’Agence de ne pas avoir reflété l’ensemble des «faits» et «données» récentes disponibles. Il trouve aussi que l’Agence n’a pas tenu compte des projets et mesures qu’il a soumis pour atténuer les impacts.

Il faut croire que cela n’a pas suffi à rassurer les auteurs du rapport et les ministères qui y ont contribué. Débat à suivre lors de la prochaine ronde de consultation sur le rapport de l’Agence.

À mon souvenir, le Port de Québec n’a cependant jamais cherché à nier que son projet aurait des impacts négatifs.

Il a plutôt cherché des façons de les atténuer. Et essayé de convaincre que les inconvénients seraient compensés par des bénéfices économiques pour Québec et pour l’Est.

Cela n’en fait pas un projet parfait ni souhaitable dans l’état actuel des choses. Mais il serait malhonnête de ne pas reconnaître les efforts du Port pour essayer de l’améliorer.

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Contrairement au BAPE, personne ne reprochera à l’agence fédérale d’avoir outrepassé son mandat. Personne ne peut lui reprocher non plus d’avoir produit un rapport complaisant.

Dire qu’à l’époque, nous avions été nombreux à nous étonner (et souvent à déplorer) que le projet du Port ne soit pas assujetti au BAPE mais à une agence fédérale.

Cela dit, la grande question du premier jour est toujours là : les bénéfices économiques espérés (productivité, emplois, retombées, récemment l’idée d’un pôle d’intelligence artificielle et de logistique des transports, etc) compensent-ils les impacts et dommages sur l’environnement et la qualité de vie?

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