Mylène Moisan, Le Soleil, publié le 21 janvier 2020
Non seulement personne n’a vu de poussière dans l’air de Limoilou — à part la poussière rouge du 25 octobre 2012 —, mais le Port n’a recensé que «trois épisodes sur 3325 jours où on a vu de la poussière aller vers Limoilou sans savoir si elle y est allée».
Rentrez chez vous, il n’y a rien à voir.
C’était au tour mardi du Port de Québec et de la Compagnie d’arrimage de Québec (CAQ) de présenter leur conclusion au recours collectif qui a requis une cinquantaine de jours d’audience cet automne, au cours desquels les parties ont présenté leurs témoins et leurs arguments.
Me Sylvain Chouinard, avocat de la CAQ, a plaidé que les citoyens devraient accepter la poussière sans rouspéter. «Limoilou, ce n’est pas l’île d’Orléans. Les gens qui habitent en ville ont toujours des inconvénients. Pour certains, c’est le bruit, pour d’autres c’est la poussière. Il y a toujours quelque chose qu’il faut accepter.»
Jusqu’à un certain point, oui.
Mais il a été démontré et mesuré que l’air du quartier contient des concentrations de particules et de métaux plus élevées qu’ailleurs — la saga du nickel en a été un bon exemple — plus que dans les autres quartiers du centre-ville. Les différentes mesures des capteurs indiquent que plus on est près du Port, plus il y en a.
Des analyses ont été en fonction des vents dominants, elles montrent que le nordet qui passe par le port, vers Limoilou, en ressort gorgé de particules. Un courriel de mars 2013 du maître du Port, Michel Petit, fait le suivi d’un événement qui avait été signalé. «Avec le vent, il y avait de la poussière.»
Les gens du quartier le remarquent aussi.
Pour le Port et Arrimage, le vent n’a rien à voir là-dedans, les coupables sont ailleurs. Pour la poussière dans le quartier, ce sont les sels de déglaçage épandus sur le réseau routier, notamment sur l’autoroute Dufferin-Montmorency et le nettoyage du printemps qui s’étend parfois jusqu’en juin.
Même si le problème de la poussière se ressent surtout en été.
L’autre coupable, pour expliquer pourquoi les gens se plaignent et disent avoir des craintes par rapport à leur santé, ce n’est évidemment pas le Port ni Arrimage.
C’est qui alors?
Véronique Lalande, cette citoyenne qui a cherché d’où venait toute cette poussière qui atterrissait sur le rebord de sa fenêtre et qui est à l’origine du recours collectif. «Nous avons dit au jour 1 de notre défense que les inquiétudes étaient causées par madame, par son entêtement.»
Si elle n’avait rien dit, si elle n’avait pas alerté les médias, on n’en serait pas là, la Direction régionale de la santé publique n’aurait pas eu à se pencher sur la qualité de l’air du quartier et le Port aurait pu continuer à mener ses activités sans avoir à dépenser des millions pour des canons à eau.
Personne ne les aurait rappelés à l’ordre, comme le ministère l’a fait en émettant des avis de non-conformité.
Me Chouinard a même poussé le bouchon jusqu’à prétendre que le recours collectif se trompe de cible. «Il n’y a aucune plainte, aucune preuve, aucun rapport médical de la part des citoyens. Ce qui se passe, c’est juste la conséquence de ce que dit Mme Lalande, de Bras de fer [un documentaire sur le recours collectif sur la poussière rouge, remporté par les citoyens, où le port a reconnu sa responsabilité]. Ce sont ceux qui ont fait ça qui devraient être tenus responsables, pas ceux qui faisaient leur travail sans déranger personne.»
Sans Véronique Lalande, tout irait bien.
Parce que le Port, affirme-t-il, n’a absolument rien à se reprocher. «Le principe de base pour nous, c’est qu’il n’y a pas de poussière qui vient du Port de Québec. […] Nous sommes, et c’est un expert qui a visité plusieurs ports de partout dans le monde qui l’a dit, un des ports les plus exemplaires.»
C’est sûrement un adon, le Port a mis en œuvre après l’épisode de poussière rouge plusieurs mesures pour atténuer la dispersion de poussière pendant ses activités. Mesures qui ont par ailleurs fait une différence dans la prévalence de nickel dans l’air, dont les concentrations ont beaucoup diminué dans les capteurs du Vieux-Limoilou, les opérations entourant le nickel étant particulièrement encadrées.
J’imagine qu’il ne faut pas y voir une preuve que la poussière venait du Port.
Un adon, je vous dis.
Pendant la pause, j’ai jasé avec la dame derrière moi, elle habite depuis toujours dans le Vieux-Limoilou à quelques rues de chez moi. Elle m’a raconté que dans les années 1980 ou 1990, elle et les gens du quartier avaient reçu une pluie de poudre de béton, les voitures en étaient couvertes. «Il avait plu, ça avait séché sur les autos. J’avais appelé au Port, ça venait d’eux autres, ils avaient payé le nettoyage des autos.»
Elle a dû faire nettoyer la sienne deux fois.
Je vous raconte ça parce que le recours collectif couvre la période qui s’étend du 1er novembre 2010 au 31 août 2019 et que le Port et Arrimage ont refusé à ce que soit déposé tout élément qui aurait fait allusion à des événements qui se seraient déroulés avant, vu qu’ils n’admettent qu’un seul incident : la poussière rouge.
À part ça, tout est beau, et tout ce qu’on reproche au Port est une vue de l’esprit.
Que du vent.