La «menace» des camions dans Limoilou

François Bourque, Le Soleil, publié le 17 décembre 2019

CHRONIQUE / Le futur terminal de conteneurs du Port de Québec pourrait entraîner une hausse de circulation de camions dans Limoilou beaucoup plus importante que celle évoquée lors de la présentation du projet.

Le Port a parlé cet automne de 180 mouvements de camions par jour, six jours par semaine, lorsque le terminal fonctionnera à sa pleine capacité (700 000 conteneurs par année).

La réalité pourrait cependant être quatre, cinq ou six fois pire si le profil des activités à Québec devait ressembler à celui de Montréal.

Québec fait l’hypothèse que 10 % des conteneurs de son terminal seront transportés par camion et 90 % par train.

Ce plan détonne avec les réalités du terminal de conteneurs de Montréal et avec les pratiques connues du camionnage au Québec, ce qui peut soulever des doutes sur sa fiabilité.

Au terminal de Montréal, plus de la moitié des 1,7 million de conteneurs manipulés en 2018 a été transporté par camion (52 %).

Montréal dispose pourtant d’un réseau ferroviaire beaucoup plus développé que celui de Québec.

Il est possible que les distances plus grandes pour desservir des clients du Midwest américain à partir de Québec favorisent un usage accru du train. Mais penser que 90 % des déplacements se feront par train à Québec semble très optimiste vu les limites de notre réseau ferroviaire.

Le Port de Montréal rapporte par ailleurs que ses terminaux sont ouverts du lundi au vendredi entre 6h et 23h. La grande majorité des transports se fait entre 7h et 15h.

Cela donne 253 jours d’opération par année en tenant compte des fériés. De ce point de vue, l’industrie du camionnage au Québec fonctionne comme les autres activités économiques, constate le groupe environnementaliste GIRAM.

Celui-ci conteste lui aussi les hypothèses de transport du Port de Québec dans un mémoire soumis à l’Agence canadienne environnementale (version révisée au 16 décembre 2019).

Des opérations sur six jours par semaine, plutôt que cinq, auraient pour effet de diminuer le nombre de camions par jour.

Si on appliquait pour les 700 000 conteneurs du terminal de Québec les mêmes ratios et horaires de transport qu’à Mont­réal, il faudrait parler de plus de 1100 mouvements de camions par jour dans Limoilou. Ce serait six fois plus que les chiffres évoqués par le Port cet automne.

Concrètement, cela voudrait dire un camion qui entre ou qui sort du terminal toutes les 30 secondes.

Cela paraît invraisemblable tant sur le plan de l’organisation logistique que pour l’impact sur l’environnement et la communauté de Limoilou. Il faut se souhaiter que ça n’arrive pas.

Imaginez le bordel, les files de camions, les attentes aux feux de circulation, les moteurs qui tournent, etc.

Personne n’a envie de voir un «train routier» de conteneurs monter et descendre le boulevard Henri-Bourassa de 7h à 17h cinq ou six jours par semaine en passant devant le mégahôpital en chantier.

Le Port de Québec dit vouloir convaincre les camionneurs d’utiliser plutôt l’autoroute Dufferin-Montmorency. Tant mieux, mais la tentation restera forte pour ceux-ci de continuer à prendre le chemin le plus court menant à l’autoroute Félix-Leclerc.

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Dans une version antérieure du projet Laurentia, le Port de Québec avait évoqué un ratio de 15 % de conteneurs transportés par camion et 85 % par train. On parlait alors de 500 000 conteneurs par an.

Qu’on utilise 10 % ou 15 % ne change pas grand-chose. La réalité est qu’il n’y a aujourd’hui aucune façon de savoir quelle sera vraiment cette proportion.

Cela dépendra de la provenance et de la destination des conteneurs, des délais de livraison exigés, des coûts pour les clients, etc.

S’il est plus pratique, plus rapide ou plus payant pour le client de faire voyager ses conteneurs par camion, on peut parier qu’on fera ce qu’il faut pour le satisfaire.

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L’incertitude sur le nombre de mouvements de camions vaut aussi pour le transport par train.

Dans un scénario où 90 % des conteneurs voyageraient par train, le Port parle de 1,2 train par jour lorsque le terminal roulera à pleine capacité.

Il serait plus juste de parler ici de 2,4 trains par jour parce que dans le calcul du Port, chaque train qui entre au terminal va en ressortir. Pour les riverains des voies ferrées, il ne fait pas de différence que ce soit le même train qui passe et qui revienne. Un train qui passe est un train qui passe.

Le calcul de fréquence repose sur un scénario de 179 wagons de quatre conteneurs, ce qui donnera des convois de 12 000 pieds ou 3,6 kilomètres de long.

Je vous souhaite de ne pas arriver au passage à niveau au début du train. Attendre en regardant défiler 3,6 km de boîtes de fer, ça peut être long.

La réalité risque heureusement d’être bien différente. On ne verra pas de si tôt des trains aussi longs.

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«Il est difficile de prévoir le nombre de conteneurs qui seront manutentionnés dans les premières années», convient le Port en réponse à mes questions.

Le chiffre va «fluctuer en fonction des lignes maritimes qui auront une entente avec le terminal de Québec au moment de son ouverture».

La longueur et la fréquence des trains vont aussi fluctuer en fonction de la quantité de conteneurs manipulée, du type de marchandise, des délais de livraison anticipés et de l’origine-destination des conteneurs, indique aussi le Port. Tout cela paraît logique. Il faudra des années avant que le futur terminal de conteneurs roule à pleine capacité, si jamais il y arrive.

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Le scénario du «pire» sur le nombre de déplacements de camions et de trains n’est donc pas pour demain.

Peut-être ne le verrons-nous jamais si le Port ne réussit pas à intéresser des armateurs pour son terminal de conteneurs.

Car quoi qu’en dise le Port de Québec, notre terminal sera en concurrence directe avec celui de Montréal et celui projeté à Contrecoeur. Il n’y a encore rien d’acquis pour le terminal de Québec.

Outre les hypothèses sur le nombre quotidien de camions et de trains, c’est peut-être celle des 700 000 conteneurs par année qu’il faudrait aussi remettre en question.

Et toutes les retombées économiques qu’on tente d’y attacher pour faire avaler la pilule de ce nouveau quai qui empiétera dans le paysage et dans le fleuve de Québec.

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