Des forages illégaux dans la baie de Beauport en pleine reproduction d’un poisson protégé

Thomas Gerbet, Radio-Canada, publié le 27 août 2019

Projet d'extension du terminal de conteneurs, dans la baie de Beauport.

Le Port de Québec prévoit construire un terminal de conteneurs à la pointe de la baie de Beauport. PHOTO : ADMINISTRATION PORTUAIRE DE QUÉBEC

Le Port de Québec a réalisé des travaux sous-marins sans autorisation, au début de juin, alors qu’un poisson en voie de disparition se reproduisait dans le secteur, a appris Radio-Canada. Pêches et Océans Canada a ordonné l’arrêt immédiat des forages.

« Négligence. Imprudence. On joue avec le feu », réagit le directeur général de Nature Québec, Christian Simard.

L’incident, survenu du 7 au 11 juin, a été qualifié de « haute importance » par la direction régionale de Pêches et Océans Canada, révèlent des courriels obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. L’affaire est même remontée jusqu’au gouvernement fédéral.

Il faut dire que le dossier est sensible. Le Port de Québec souhaite construire un nouveau terminal de conteneurs en eau profonde. Un projet estimé à 775 millions de dollars.

Projet d'extension du terminal de conteneurs, dans la baie de Beauport.

Projet d’extension du terminal de conteneurs, dans la baie de Beauport.PHOTO : ADMINISTRATION PORTUAIRE DE QUÉBEC

« Des travaux de dragage sur barge ont présentement cours à la baie de Beauport, à l’extrémité de la péninsule portuaire actuelle », peut-on lire dans un courriel daté du 11 juin.

Le même jour, les agents du ministère ordonnent l’arrêt des travaux qui ont été « commandés par le Port de Québec et effectués par la compagnie Englobe […] dans le cadre du projet d’expansion portuaire planifié dans ce secteur ».

Pêches et Océans confirme avoir remis un avertissement pour non-conformité à la Loi sur les espèces en péril, le 14 juin.

Selon Nature Québec, il y a des parallèles à faire avec la controverse des travaux réalisés par TransCanada dans la pouponnière de bélugas à Cacouna, en 2014.

En pleine reproduction du bar rayé

Un bar rayé dans les mains d'un pêcheur sportif.

Il y avait en 2018 près de trois fois moins de bars rayés dans le golfe du Saint-Laurent que l’année précédente, selon le ministère des Pêches et des Océans (archives). PHOTO : RADIO-CANADA

Les mois de mai et de juin correspondent à la période de reproduction du bar rayé, un poisson classé en voie de disparition par le gouvernement fédéral.

Un des seuls secteurs de reproduction du poisson se trouve justement à « l’extrémité portuaire de la ville de Québec, à Beauport », peut-on lire dans le document ministériel relatif à la Loi sur les espèces en péril.

Le bar rayé vit presque exclusivement entre la Ville de Québec et Rivière-du-Loup.

Pêches et Océans estime que la menace la plus élevée pour cette population de poissons du fleuve Saint-Laurent est le « développement et les modifications d’infrastructures », et que cette menace est « très susceptible de se réaliser ».

La baie de Beauport est un « hot spot » de biodiversité.

Christian Simard, directeur général de Nature Québec

L’Administration portuaire de Québec (APQ) n’a pas encore obtenu le feu vert de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale pour son projet d’expansion.

Le Port assure que l’erreur ne se reproduira plus

Un navire devant le Port de Québec.

Les navires comme celui-ci seront plus nombreux à s’arrêter à Québec si le projet d’expansion se réalise. PHOTO : RADIO-CANADA

« Nous vous assurons de la bonne foi du Port et des consultants dans ce dossier », écrit dans un courriel à Radio-Canada la porte-parole de l’APQ, Marie-Andrée Blanchet.

L’interprétation de nos consultants était que, comme il s’agissait de forage et non de dragage, ils pouvaient procéder. Aussitôt avisés par Pêches et Océans, ils ont arrêté les travaux.

Marie-Andrée Blanchet, porte-parole de l’Administration portuaire de Québec

« Dans l’avenir, l’APQ exigera de ces consultants qu’ils effectuent une vérification en amont auprès de Pêches et Océans Canada », écrit le Port.

Le Port explique que les forages servaient d’échantillonnage pour préparer son dossier devant être soumis à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale.

Dans le cadre du projet d’expansion, baptisé Laurentia, le Port compte effectuer le dragage de 900 000 mètres cubes de sédiments afin d’obtenir une profondeur d’eau de 16 mètres, nécessaires aux navires marchands.

D’autres controverses environnementales au Port de Québec

Des citernes au Port de Québec.

Des citernes au Port de Québec. PHOTO : RADIO-CANADA / JEAN-PIERRE ROBIN

Le Port de Québec a toujours refusé de soumettre son projet d’expansion au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) québécois, alléguant qu’il n’est soumis qu’aux lois fédérales.

En 2013, des inspecteurs en environnement s’étaient fait refuser l’accès aux installations d’une entreprise située au Port de Québec.

En 2012, des citoyens du quartier Limoilou ont été incommodés par un épisode de poussière rouge en provenance du port. L’affaire est encore devant la justice.

Depuis 2007, une autre entreprise installée au Port de Québec refuse d’appliquer les lois environnementales de la province et se défend devant les tribunaux.

À Montréal, le projet d’expansion du port à Contrecoeur est suspendu à la décision du gouvernement fédéral en raison de la présence de l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson en voie de disparition.

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