Un poisson menace un projet du port de Québec

Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 11 avril 2019

Le bar rayé, que l’on aperçoit ici, a été réintroduit dans les eaux du Saint-Laurent, mais il s’agit toujours d’une espèce en voie de disparition.
Photo: Olivier Zuida.  Le Devoir Le bar rayé, que l’on aperçoit ici, a été réintroduit dans les eaux du Saint-Laurent, mais il s’agit toujours d’une espèce en voie de disparition.

Le projet Beauport 2020 risque de se heurter à la législation canadienne qui protège les espèces en péril. Le nouveau complexe portuaire industriel de 400 millions de dollars du port de Québec menacerait en effet un habitat essentiel pour le bar rayé, une espèce en voie de disparition. Les autorités gouvernementales attendent d’ailleurs depuis plusieurs mois des réponses du promoteur sur cet enjeu, a appris Le Devoir.

Présenté comme une « espèce patrimoniale mythique » dans le Plan d’action Saint-Laurent des gouvernements du Québec et du Canada, le bar rayé avait complètement disparu du fleuve à la fin des années 1960, notamment en raison de la dégradation de son habitat.

Le gouvernement du Québec a toutefois lancé en 2002 un programme pour reconstituer cette population. « Cette réintroduction a nécessité des investissements d’argent importants de la part du gouvernement québécois », précise d’ailleurs le ministère de l’Environnement du Québec dans un document déposé à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE), qui pilote l’examen du projet Beauport 2020.

Le bar rayé est donc de retour dans le Saint-Laurent, si bien que Pêches et Océans Canada (MPO) devrait faire passer son statut d’espèce « disparue » à « en voie de disparition », en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). « Une mise à jour du Programme de rétablissement du bar rayé, incluant une mise à jour de l’habitat essentiel, est en développement », précise aussi une porte-parole du MPO, Karina Laberge.

Un « avis scientifique » produit en 2017 par le MPO pour la « désignation » de cet habitat essentiel démontre d’ailleurs clairement que la baie de Beauport et le « secteur portuaire de Québec » constituent un habitat crucial pour le rétablissement de l’espèce.

Or, c’est précisément dans cet habitat que le port de Québec veut implanter le projet Beauport 2020, qui comprend la construction d’un nouveau quai de 610 mètres, le dragage de plus de 900 000 m3 de sédiments et le remblaiement d’une partie du fleuve pour créer un nouvel « espace » de 170 000 m2, afin de stocker des conteneurs.

Dans un document mis en ligne par l’ACEE le 30 mai 2018, le MPO est pourtant formel : « Le secteur du nouveau quai correspond à une aire de reproduction pour le bar rayé du fleuve Saint-Laurent, population protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Seuls deux sites de reproduction sont actuellement connus pour cette population en rétablissement dans le Saint-Laurent. »

Le ministère ajoute que le quai serait construit directement dans un « secteur très important dans le déroulement de la fraie », et qui fera donc vraisemblablement partie de l’habitat jugé essentiel pour le bar rayé. Or, la LEP prévoit qu’« il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou menacée — ou comme espèce disparue du pays dont un programme de rétablissement a recommandé la réinsertion à l’état sauvage au Canada ».

Réponses attendues

Dans son étude d’impact et dans des réponses fournies à l’ACEE jusqu’en avril 2018, le port de Québec admet que « la zone d’extension du quai 53 fait partie d’une aire de rassemblement printanier du bar rayé », mais affirme qu’« aucune activité de fraie du bar rayé » n’a lieu dans ce secteur.

Dans une réponse à ces affirmations du port de Québec, le MPO précise cependant que « l’espèce est connue pour utiliser des aires de rassemblement avant la fraie qui, à l’instar des frayères, jouent un rôle essentiel pour la reproduction. Les aires de rassemblement avant la fraie font partie intégrante de l’habitat nécessaire à la reproduction ».

Le ministère ajoute que l’étude d’impact du projet ne précise « aucun plan compensatoire » pour la destruction « d’habitats de haute valeur » pour le poisson, ce qui signifie que Beauport 2020 risque « de nuire ou de mettre en péril la survie ou le rétablissement d’une espèce en péril [bar rayé] ».

Dans le cadre de la dernière demande de l’ACEE adressée au port de Québec, datée du 8 juin 2018, l’Agence exige en outre que le promoteur de Beauport 2020 reprenne « la description des fonctions d’habitat du bar rayé observées au site de prolongement du quai 53 en remplaçant la fonction d’habitat de migration identifiée par le promoteur par une fonction de reproduction ».

L’ACEE souligne qu’en plus de son rôle dans la reproduction de cette espèce protégée, le secteur visé pour construire le nouveau quai « se trouve à l’intérieur de zones plus vastes qui constituent des aires d’hivernage et d’alimentation des adultes et de croissance des larves et des juvéniles, ce qui ajoute à l’importance de ce secteur pour l’espèce. La description de l’habitat essentiel doit prendre en compte ces constats et rapporter les connaissances acquises au cours des dernières années par la communauté scientifique ».

Même si la demande a été formulée il y a maintenant plus de dix mois, l’ACEE a confirmé au Devoir qu’elle est toujours « en attente » des réponses du port de Québec. La porte-parole de l’administration portuaire, Marie-Andrée Blanchet, a affirmé pour sa part que « conformément à la demande de l’ACEE, nous avons complété l’évaluation de la question de l’utilisation de l’habitat par le bar rayé ».

Est-ce que vous estimez toujours que le secteur du projet portuaire n’est pas utilisé par le bar rayé durant la période de reproduction ? Êtes-vous convaincus de pouvoir réaliser le projet Beauport 2020 sans nuire au bar rayé ? Mme Blanchet n’a pas fourni de réponses à ces questions, invitant simplement Le Devoir à « consulter le site de l’Agence pour l’information de nature technique ».

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