Des doutes sérieux sur le mégaprojet Arianne Phosphate

Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 13 août 2018

Le projet Arianne Phosphate doit entraîner une hausse importante du transport maritime commercial dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.
Photo: Alexandre Shields Le Devoir Le projet Arianne Phosphate doit entraîner une hausse importante du transport maritime commercial dans le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

 

Le gouvernement Couillard a approuvé et soutenu financièrement l’imposant projet minier d’Arianne Phosphate, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Or, les experts du ministère de l’Environnement du Québec ont émis de sérieuses réserves à son égard, a constaté Le Devoir. Non seulement sa rentabilité serait très incertaine, mais le terminal maritime qui devra être construit pourrait engendrer des impacts environnementaux significatifs.

L’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) évalue présentement le « terminal maritime » qui devrait être construit sur le Saguenay pour exporter le minerai d’apatite qui serait extrait de la future mine du Lac-à-Paul, à raison de trois millions de tonnes par année.

Dans le cadre de cette évaluation fédérale, l’ACEE a publié en juillet un « rapport provisoire » en vue de la « consultation publique » tenue en plein été et qui se termine le lundi 13 août. En plus de son volumineux rapport, l’Agence a mis en ligne plusieurs documents déposés par différents intervenants, dont une « analyse » de 337 pages produite par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) du Québec.

En annexe de ce document du MDDELCC, on trouve une analyse économique datée du 21 mars 2018 et qui remet sérieusement en doute la viabilité de ce projet. Le document est signé par Dick McCollough, économiste senior à la direction générale de l’évaluation environnementale et stratégique du ministère de l’Environnement du Québec.

« Malgré le ton optimiste des gestionnaires d’Arianne Phosphate et des autorités portuaires constaté dans les communiqués et les documents officiels, la situation financière de Arianne Phosphate semble précaire, sinon insoutenable à court et moyen termes, en raison principalement de l’importance des investissements requis pour l’ensemble du projet, de la faiblesse des prix [du phosphate sur les marchés], d’un marché saturé et de l’absence de partenaires financiers », souligne-t-il en conclusion de son analyse.

« Aussi, sans même prendre en compte les différents enjeux environnementaux et sociaux associés aux trois composantes du projet minier [la mine, le chemin d’accès au terminal portuaire et le terminal], le projet pris dans son ensemble ne semble pas justifiable économiquement à court ou moyen terme, sur un horizon d’au moins 10 ans », ajoute M. McCollough.

L’économiste rappelle que le contexte du marché du phosphate (l’apatite est composée de phosphate) semble pour le moins incertain pour les prochaines années. Selon les prévisions de la Banque mondiale, le prix de la tonne de phosphate, qui se situe sous les 100 $ US depuis plus de deux ans, ne devrait pas atteindre 125 $ avant au moins 2030. Or, selon les données d’Arianne Phosphate citées par l’économiste du MDDELCC, le seuil de rentabilité du projet se situerait entre 125 $ et 130 $ la tonne.

Preuve que le marché international est difficile, l’autre projet de mine d’apatite dont le gouvernement du Québec est actionnaire, Mine Arnaud, à Sept-Îles, est toujours au point mort malgré son approbation en mars 2015 et les millions injectés par Québec.

Arianne Phosphate, dont la mine à elle seule nécessiterait des investissements de plus de 1,2 milliard de dollars, ne doute pourtant pas de la rentabilité de son projet. « Pour nous, Mine Arnaud ou le futur projet au Sénégal ou les études d’une expansion au Pérou sont des projets dans “l’environnement phosphate” dont nous devons tenir compte mais qui n’ont pas d’impact sur la suite des choses pour Arianne. L’année 2021 est un point de rupture sur les marchés et nous devons être prêts pour utiliser cette fenêtre pour livrer notre production », explique le chef des opérations, Jean-Sébastien David.

Au moment d’approuver la construction de cette importante mine à ciel ouvert, le 22 décembre 2015, le premier ministre Philippe Couillard avait pour sa part affirmé que le projet « présente un potentiel de retombées économiques important pour le Québec ». Son gouvernement a d’ailleurs injecté jusqu’à présent 3,4 millions de dollars dans le projet.

Port à revoir

L’analyse produite par le MDDELCC dans le cadre de l’examen de l’ACEE remet par ailleurs en question la construction de l’imposant terminal maritime d’exportation, tel qu’il est prévu par l’Administration portuaire du Saguenay, promoteur de ce projet de 260 millions.

Pour le moment, il est prévu de construire un port « multi-usagers » à Sainte-Rose-du-Nord, sur la rive nord du Saguenay, à cinq kilomètres du parc marin. « En fonction du développement probable dans ce secteur du territoire qui amènera des projets potentiels, un quai multi-usagers peut éviter d’avoir une demande de multiplication des infrastructures dans l’avenir », explique le directeur, commercialisation et projets, Frédéric Lebrun.

Cette portion du projet n’a pas été étudiée dans le cadre de l’évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) menée en 2015, puisque le promoteur estime que le projet est de compétence fédérale. Dans son rapport, le BAPE soulignait pourtant que le projet minier devrait être autorisé seulement à la suite d’une évaluation environnementale québécoise du projet de port.

Les experts du MDDELCC estiment aujourd’hui qu’il n’est pas possible de « conclure à l’acceptabilité environnementale » d’un tel terminal, qui aurait une longueur de 280 mètres sur la rive du Saguenay. Ils soulignent ainsi qu’« un empiétement supplémentaire significatif sur le fond marin, en rive ou en milieu terrestre serait occasionné par la présence d’infrastructures d’un tel équipement », mais aussi que « son implantation modifierait de façon importante et irréversible le paysage du fjord ».

Dans ce contexte, ils recommandent la construction d’une infrastructure « de moindre envergure », uniquement destinée au projet d’Arianne Phosphate.

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