Le Port de Montréal invité à refaire ses devoirs

Alexandre Shields, Le Devoir, publié le 20 juin 2018

Le projet d’expansion du Port de Montréal à Contrecœur fait resurgir le controversé dossier du dragage dans le Saint-Laurent. Le ministère de l’Environnement du Québec estime que le promoteur doit refaire ses devoirs afin de mieux évaluer les risques toxiques que représentent les sédiments qui seront dragués pour faire place au terminal de conteneurs. Et le risque pour le fleuve est bien réel, affirment les experts consultés par Le Devoir.

Pour accueillir des navires de près de 300 mètres de longueur au nouveau quai, le Port de Montréal prévoit de retirer du fond du fleuve plus de 840 000 m³ de sédiments sur une superficie de 163 000 m², soit l’équivalent de 23 terrains de soccer de la Coupe du monde. Lorsque les trois phases du projet seront terminées, la superficie draguée sera trois fois plus importante.

Cette opération délicate, qui doit s’étendre sur trois années, représente-t-elle un risque pour la qualité de l’eau du Saint-Laurent et la santé des écosystèmes ? L’étude d’impact du promoteur ne permet pas de le savoir, constatent les experts du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC).

Dans ses « commentaires » présentés dans le cadre de l’étude menée par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE), le MDDELCC met ainsi en lumière plusieurs lacunes dans la « caractérisation » des sédiments qui seront dragués à Contrecoeur.

 

 
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Le ministère souligne que « les butylétains n’ont pas été analysés ». Or, ces composés toxiques utilisés dans la peinture des bateaux et aujourd’hui interdits, mais « encore présents dans l’environnement, notamment dans les zones portuaires », ont été retrouvés dans des « concentrations importantes » en aval du site du futur terminal. Leur analyse est d’autant plus cruciale qu’ils sont « toxiques pour les organismes aquatiques et ils sont reconnus comme étant persistants dans les sédiments et bioaccumulables ».

Certaines autres substances toxiques ont été analysées seulement dans « quelques échantillons », note le MDDELCC. C’est le cas des hydrocarbures pétroliers, qui ont été analysés dans 10 des 42 échantillons de sédiments recueillis, mais aussi des BPC, analysés dans 5 échantillons.

Le ministère fait également valoir que l’épaisseur moyenne de sédiments à retirer du Saint-Laurent sera de cinq mètres. Pourtant, « les sédiments ont été très peu caractérisés en profondeur », puisque la majorité des échantillons sont constitués de « sédiments de surface », situés à moins de 61 cm de profondeur. « En principe, la caractérisation des sédiments doit permettre d’évaluer la qualité des sédiments sur toute la profondeur qui sera draguée », rappelle le ministère.

Le MDDELCC recommande donc que « des analyses supplémentaires, pour tous les paramètres, soient effectuées dans les diverses strates des sédiments alluviaux », soit ceux où la contamination risque de se concentrer. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs, le ministère demande même au Port de Montréal de lui présenter son plan d’échantillonnage de sédiments, « pour validation et approbation ».

 

Risque réel

Professeur associé à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski, Émilien Pelletier se dit d’accord avec les constats du ministère. « En draguant le fond, on risque de remettre en circulation des contaminants qui seraient restés enfouis pour toujours, et la contamination pourrait s’étendre jusqu’au lac Saint-Pierre.C’est là tout le problème. C’est pour cela que le ministère veut être très prudent et ne pas se retrouver avec un problème de contamination. C’est un secteur du fleuve où il y a lieu d’être très prudent », explique-t-il.

 

Même son de cloche du côté du professeur Gilbert Cabana, du Département des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières. « Les experts du ministère ont bien raison de souligner que l’échantillonnage a été déficient. La caractérisation des sédiments me semble assez faible », souligne-t-il, pointant les lacunes pour les butylétains et les BPC.

Selon lui, toutes les précautions doivent être prises pour éviter de réveiller un héritage toxique. « Dans l’étude des lacs et des cours d’eau, une règle non écrite dit, en clair : on ne bouge pas les sédiments. C’est là que les substances toxiques sont enterrées. Tout programme de dragage risque de remettre cela en circulation, ce qui serait problématique. »

« La contamination historique des sédiments est très présente dans le secteur du terminal, qui est une zone de dépôt historique, en raison du ralentissement du courant. Il faut donc qu’une caractérisation importante soit faite », insiste aussi l’écotoxicologue Daniel Green, de la Société pour vaincre la pollution.

Selon lui, les techniques utilisées pour le dragage dans le Saint-Laurent ne sont toutefois pas adéquates pour éviter une migration de la pollution. Des méthodes sécuritaires seraient, à son avis, jugées trop coûteuses par les promoteurs.

La directrice des communications de l’Administration portuaire de Montréal (APM), Mélanie Nadeau, assure toutefois que la caractérisation des sédiments sera menée de façon adéquate. « L’APM est pleinement engagée dans le processus environnemental de l’ACEE, et ce, depuis 2015. Le processus en cours selon lequel l’ACEE et les intervenants que cette dernière consulte ont des questions et précisions complémentaires est tout à fait normal, à la suite du dépôt de notre étude d’impact et de la tenue des audiences publiques », fait-elle valoir.

IMPACTS DU CAMIONNAGE À ÉVALUER

Avec son projet de terminal, qui doit accueillir plus d’un million de conteneurs par année, le Port de Montréal prévoit une augmentation très importante du trafic routier dans le secteur, notamment vers l’autoroute 30. Or, la Direction de la santé publique de la Montérégie estime que le promoteur n’a pas entièrement considéré l’impact sonore et sur la qualité de l’air du passage quotidien de plus de 1200 camions, lors de l’exploitation du terminal. L’organisme de santé publique souligne aussi que certains impacts sur la santé sociale des communautés sont « très peu documentés, voire pas du tout ». On cite en exemple la capacité d’accueil locale et régionale, notamment pour les services aux citoyens.

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