L’art d’embellir la réalité

François Bourque, Le Soleil, publié le 30 mai 2018

CHRONIQUE / Le «projet balnéaire» de 2,5 km entre les côtes de Sillery et Gilmour ajoutera à la fierté et au plaisir de la promenade Samuel-De Champlain.

La Commission de la capitale nationale (CCN) promet d’en faire le «clou du spectacle» avec un miroir d’eau, une piscine, des pavillons de service et des accès à la plage naturelle du Foulon.

Le projet prévoit le déplacement de la voie ferrée, le démantèlement d’un viaduc ferroviaire et sa reconstruction un peu plus loin.

«Cette dépense [160 millions $] va faire l’unanimité», a prédit le ministre responsable de la Capitale-Nationale, Sébastien Proulx.

Je crois aussi à une grande acceptabilité sociale pour ce projet. La même que pour les phases précédentes, le quai Paquet ou les parcs linéaires des rivières urbaines de Québec et de Lévis.

L’accès à l’eau fait désormais partie de la qualité de vie et de l’image de marque de nos villes. La promenade De Champlain a beaucoup contribué à ce changement de perception. Comme avant elle la naturalisation des berges de la Saint-Charles.

La phase III de la promenade va «ouvrir» de nouveaux accès publics au fleuve et on s’en réjouit.

Dommage que le Port de Québec soit en train de faire exactement le contraire quelques kilomètres en aval en privatisant une partie de l’Anse Brown au profit d’un spa nordique.

Et en s’entêtant à vouloir prolonger un quai qui va étouffer le paysage du fleuve à la baie de Beauport.

Tous n’ont pas la même compréhension de ce qui fait le succès et la qualité de vie des villes. Tous n’ont pas non plus le même mandat, faut-il dire à la décharge du Port.

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Pourrait-on imaginer une phase III différente de ce qu’on a vu cette semaine et moins coûteuse?

La réponse est oui.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) avait d’ailleurs proposé en 2013 un aménagement plus simple, plus «naturel», moins coûteux et davantage tourné vers la mobilité durable.

Le BAPE avait alors remis en question le concept de piscine et de miroir d’eau; il déplorait l’empiétement du projet sur le marais naturel de l’Anse au Foulon; regrettait l’absence d’accès à la plage; s’opposait au démantèlement du viaduc ferroviaire au pied de la côte de Sillery; souhaitait moins de stationnements, et une desserte en transport en commun.

Le BAPE avait aussi reproché à la CCN l’absence d’étude sur la rentabilité économique et sociale du projet ainsi que sur les prévisions d’achalandage.

Ce rapport du BAPE avait à l’époque été critiqué, plusieurs estimant qu’il n’était pas dans son mandat de soulever des enjeux de coûts.

Le ministre Sébastien Proulx a expliqué cette semaine que le nouveau projet ne sera pas soumis au BAPE, puisque toutes les recommandations de 2013 ont été suivies.

Ce n’est pas vrai. Plusieurs ont été suivies, mais pas toutes et certainement pas celles visant la simplicité d’aménagement et une réduction des coûts. Le ministre aurait dû faire cette nuance.

Cela dit, le BAPE n’est pas le pape et n’est pas infaillible.

Le design de la promenade De Champlain résulte de choix techniques, artistiques et politiques. Le succès obtenu depuis 2008 conforte les choix qui ont été faits et encourage à poursuivre dans le même esprit.

Personnellement, je vivrais très bien avec une promenade plus «légère», comme ce tronçon de terre battue menant au sentier des grèves à l’ouest des ponts.

Mais je comprends que les familles trouveront davantage leur compte avec une piscine, des jeux d’eau, un pavillon de service, des aires de jeux, etc.

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Le succès de la promenade De Champlain est suffisamment éloquent il me semble sans qu’il soit besoin d’embellir la réalité par des statistiques invraisemblables.

Selon une étude Léger menée pour la CCN, il y aurait eu 3,5 millions de visites à la promenade en 2017.

Faisons ensemble le calcul : 3 500 000 visites, divisées par 365 jours, divisés par 24 heures. Cela donne 400 visites à l’heure, beau temps mauvais temps, pluie pas pluie, hiver comme été, de nuit comme de jour.

Impossible.

400 peut-être à certaines heures de la haute saison, mais pas une moyenne. Jamais assez pour compenser les heures creuses d’une semaine de pluie ou des nuits de février où ce n’est pas déblayé et il fait moins 30 sans le vent.

J’habite pas loin et j’y descends depuis le début à toutes sortes d’heures du jour et souvent jusqu’à très tard le soir.

J’y croise encore quelques pêcheurs au quai des Cageux et des promeneurs sur le sentier. Au plus une ou deux dizaines, mais le plus souvent beaucoup moins.

Cela n’enlève rien au plaisir et aux qualités de la promenade. Je n’aime juste pas quand on essaie de nous prendre pour des valises.

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