Port de Québec: pour qui les conteneurs?

Annie Morin, Le Soleil, publié le 17 mars 2018

Le projet de terminal du Port de Québec fait face à une forte concurrence néo-écossaise. Québec n’est pas seule à planifier un terminal de conteneurs qui attirerait les gros navires intercontinentaux vers son port en eau profonde. Deux ports de Nouvelle-Écosse travaillent depuis des années sur des projets semblables qui ont un nom, un promoteur, de grands terrains réservés, mais toujours pas d’installations.

C’est en 2007, dans le plan de développement du port de Sydney situé au nord-est de l’île du Cap-Breton, que le transbordement des conteneurs a été jugé prometteur. Le secteur a été dragué en 2012 pour atteindre la profondeur de 15 mètres nécessaire pour un terminal en eau profonde. Le gouvernement Harper a payé la moitié des travaux de 38 millions $.

Les années suivantes ont connu leur lot de transactions foncières, de revendications autochtones, de rapports de consultants et de nominations plus ou moins critiquées.

Depuis deux ans, le projet baptisé Novaporte est porté par SHIP (Sydney Harbour Investment Partners), une société privée à qui la municipalité régionale de Cap-Breton a confié la promotion et réservé des terrains.

Une entente a été signée avec l’entreprise China Communications Construction Co. Ltd pour la construction du terminal et des infrastructures connexes, comme les routes et le rail. Le géant Ports America, qui opère 80 terminaux dans une quarantaine de ports, s’est aussi porté volontaire pour gérer et opérer pendant 40 ans le terminal pour lequel 80 hectares sont réservés.

Les partenaires ont même procédé à la première pelletée de terre de la zone logistique Novazone, encore inhabitée. L’idée est d’y rassembler les entreprises d’entreposage et de transformation des marchandises reçues par conteneurs. Environ 500 hectares sont disponibles à cette fin à l’intérieur des terres.

À une centaine de kilomètres à vol d’oiseau, dans le port d’Hawkesbury donnant sur le détroit de Canso, au sud-ouest du Cap-Breton, un autre groupe planifie aussi un terminal pour accueillir les immenses porte-conteneurs qui parcourent les grandes routes maritimes mondiales.

Dans les cartons depuis une bonne décennie, le Melford Atlantic Gateway Container Terminal and Logistics Park a connu un développement accéléré ces dernières années. Ses promoteurs ont acheté des terres du gouvernement provincial, obtenu les autorisations environnementales, pris entente avec des travailleurs potentiels.

Actuellement, des ingénieurs travaillent sur les plans du terminal de 70 hectares où seront transbordés et entreposés les conteneurs et ceux du rail nécessaire pour les expédier vers le marché de la côte est et du midwest américain. Une zone logistique d’une centaine d’hectares est également dans les cartons.

Un fonds d’investissement newyorkais, Cyrus Capital Partners, appuie le projet, tandis que SSA Marine Carrix est l’opérateur désigné. Ce dernier, dont le siège social est à Seattle, manutentionne déjà 14 millions de conteneurs par année.

Pour se distinguer de Sydney — et aussi d’Halifax qui a un port opérationnel et sous-exploité —, Melford met de l’avant ses avantages naturels : 18 mètres de profondeur d’eau et un port sans glace tout l’hiver. En plus, le projet est entièrement financé par le privé et il n’y a pas de pont limitant les empilades de conteneurs en cours de route.

Dans un cas comme dans l’autre, il manque cependant une chose importante : des clients. Les deux sites sont à la recherche d’un premier transporteur qui s’engagerait à utiliser le terminal pendant quelques années. Ce n’est pas une mince tâche, car cela suppose de modifier des routes intercontinentales.

L’Administration portuaire de Québec (APQ), qui destine maintenant son agrandissement dans la baie de Beauport au transbordement de conteneurs, fait le même démarchage. Les ports néo-écossais sont au courant.

«Il faut convaincre que nous offrons un meilleur terminal et que ça leur coûtera moins cher de passer par ici», résume Richie Mann, vice-président du marketing pour Melford Atlantic Gateway.

Selon lui, il est plus économique de passer par la Nouvelle-Écosse que de suivre le Saint-Laurent jusqu’à Québec puis en revenir car les navires circulent en boucle entre les grands ports du monde. Après le Cap-Breton, ils pourraient poursuivre vers New York ou Norfolk pour une autre escale.

Un marché de niche pour Québec

M. Mann est d’accord avec l’APQ sur un point : les navires sont appelés à grossir, car les compagnies maritimes veulent charger et décharger plus de conteneurs moins souvent. Mais Québec ne peut accommoder les nouveaux géants des mers en raison de sa localisation et de l’espace disponible, plaide le porte-parole de Melford. Et comme les gros bateaux ne peuvent se rendre à Montréal en raison des ponts et de la profondeur d’eau, il considère que le Québec est condamné à un marché de niche.

Albert Barbusci, promoteur principal de Novaporte, aborde le projet de Québec comme un éventuel complément à son offre, tout comme le port de Montréal, déjà spécialisé dans le transbordement de conteneurs. «À la fin de la journée, que ce soit Montréal ou Québec, on peut travailler avec n’importe qui. Il y aura des opportunités, c’est certain», dit l’homme d’affaires. «En même temps, vous ne pouvez pas avoir cinq ports en eau profonde le long de la côte est», tempère-t-il aussitôt.

Selon lui, la stratégie pour attirer les immenses porte-conteneurs doit être canadienne et non pas centrée sur une province. Mais au final, c’est le secteur privé qui désignera les gagnants parce que les gros navires ne peuvent arrêter partout où ils sont invités. «Les entreprises vont avoir leurs propres raisons et leur propre rationnel pour décider où elles veulent aller, un peu comme les lignes de croisières», compare le porte-parole de SHIP.

Le président-directeur général de l’Administration portuaire de Québec, Mario Girard, multiplie actuellement les voyages d’affaires pour convaincre des investisseurs de s’installer à Québec. Il assure que la concurrence a été étudiée et que le terminal de conteneurs à la baie de Beauport saura tirer son épingle du jeu.

«On n’aurait jamais annoncé un projet comme ça sans la certitude absolue qu’on est capables d’être compétitifs par rapport à ces ports-là. On amène une solution qui fait en sorte que le coût moyen par conteneur est inférieur à ce qui se fait actuellement dans l’industrie», a-t-il confié au Soleil il y a quelques semaines.

Pas moins de 45 critères ont été considérés : distance, coûts de main-d’œuvre, prix du rail, temps d’attente, congestion, taux de remplissage… Certaines routes apparaissent d’ailleurs plus prometteuses que d’autres.

«Nous, les calculs qu’on a faits, c’est 100% de la chaîne, de porte à porte. C’est là qu’on réalise, dans les études qu’on a faites, qu’on peut être extrêmement compétitifs par rapport à des projets comme Sydney, à des ports comme New York ou la Virginie. C’est détaillé à ce point-là», mentionne le grand patron du Port de Québec.

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