La certitude absolue

Mylène Moisan, Le Soleil, publié le 22 mars 2018

CHRONIQUE / C’est beau quand même, avoir la certitude absolue, c’est une chose rare. Ça ne m’arrive pas souvent, je suis plutôt du genre à douter.

Pas comme Mario Girard.

Le président-directeur général du Port de Québec, lui, ne doute pas. Il en a fait la démonstration récemment, quand la collègue Annie Morin lui a demandé s’il allait y avoir assez de clients pour faire rouler le terminal de conteneurs qu’il veut construire près de la baie de Beauport. «On n’aurait jamais annoncé un projet comme ça sans la certitude absolue qu’on est capables d’être compétitifs.»

Parce que le Port de Québec n’est pas le seul à lorgner le lucratif marché des porte-conteneurs, deux autres projets en Nouvelle-Écosse ont une longueur d’avance, d’autant plus qu’ils peuvent accueillir de plus gros navires.

Un avantage énorme.

Qu’à cela ne tienne, Mario Girard ne doute pas.

Il était tout aussi convaincu quand il a présenté la précédente esquisse de l’agrandissement du port, qui devait accueillir un tiers de vrac solide, un tiers de vrac liquide et un tiers d’autres marchandises, incluant des conteneurs. Il n’a pas précisé ce qu’on y transborderait, ça allait venir plus tard.

Et puis, il y a à peine quatre mois, le PDG du Port, talonné par les questions environnementales, a viré au tout-aux-conteneurs. On prévoit pouvoir en accueillir 10 000, cinq de hauteur, sur plus de 600 mètres. Tout ça à quelques jets de sable de la plage. On promet un mur vert pour cacher tout ça.

Les clients? Ils viendront. Mario Girard en a la «certitude absolue».

J’ai eu une impression de déjà-entendu. C’était en 2014, vous vous souvenez? Il fallait absolument construire deux énormes silos à granules, c’était urgent, nécessaire, impératif, les navires allaient se bousculer au portillon.

On avait même un client, Rentech, qui promettait la lune, mais qui n’avait pas insisté sur un détail, il n’avait pas encore la capacité de produire lesdites granules. Le Port a signé un contrat de 15 ans, Arrimage a investi 25 millions $ pour ces deux grosses boules blanches qui ont poussé dans la nuit.

On a inauguré les dômes immaculés en grande pompe, le maire Labeaume s’est excusé d’avoir douté des certitudes de son ami Mario.

Les silos sont vides depuis des lunes. Arrimage a récemment mis fin au contrat de Rentech, pour factures impayées.

Les seuls locataires sont les oiseaux qui, peinards, y font leur nid.

Imperturbable, le PDG a promis en janvier qu’on les remplira cette année. «C’est une super infrastructure à la fine pointe, très moderne en termes de transbordement. C’est extraordinaire ce qu’on a fait là au niveau technologique et il y a du marché potentiel pour ça.»

Même chose pour la poussière qui est encore saupoudrée sur les quartiers avoisinants. Mario Girard a d’abord juré, en 2012, que l’épisode de la poussière rouge était un «incident malheureux, mais isolé», avant d’être obligé de reconnaître qu’il s’agissait d’un problème récurrent.

Sans admettre sa part de responsabilité.

En octobre 2014, le PDG affirmait, sans rire et sans cligner des yeux, que tout ça était réglé. «Ce qui doit être fait est fait actuellement. Les canons fonctionnent très bien […] Les capteurs de poussière sont en place. On a un centre de contrôle. Tout ce qui doit être fait est fait actuellement.»

Certain à 100 %.

Sauf que depuis ce temps, ces certitudes-là aussi se sont envolées, emportant avec elles des nuages de poussière. Si vous ne l’avez pas encore fait, allez au Clap ou au Lido voir le documentaire des frères Seaborn, Bras de fer, où on voit bien que rien n’a vraiment changé.

Et voilà qu’il faudrait encore le croire sur parole quand il affirme avoir la «certitude absolue» qu’il faille draguer le fond du fleuve et agrandir le Port pour d’éventuels clients. Ceux qui doutent, dans son esprit, ne font que résister aux changements. «Bien sûr, proposer de changer un modèle existant vient avec son lot de scepticisme, d’interrogations et de résistance, a-t-il dit en janvier. Comme entrepreneur, je sais que vouloir changer le modèle ne vient pas toujours aisément.»

Je n’y peux rien, quand il brandit une lanterne, je vois une vessie.

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