«Bras de fer»: port, poussière et démocratie

André Lavoie, Le Devoir, publié le 9 mars 2018

Le documentaire suit le chemin sinueux parcouru par le couple Lalande-Duchesne, allant de la marche organisée avec l’énergie de l’indignation avec les citoyens du quartier à la longue lutte judiciaire.
(Photo: Spira films) Le documentaire suit le chemin sinueux parcouru par le couple Lalande-Duchesne, allant de la marche organisée avec l’énergie de l’indignation avec les citoyens du quartier à la longue lutte judiciaire.

Dans un essai récemment publié, Sébastien Proulx, ministre de l’Éducation, insiste sur les vertus du savoir pour faire de tous des citoyens éclairés. Plusieurs documentaires québécois récents, dont Pipelines, pouvoir et démocratie, d’Olivier D. Asselin, en font aussi la preuve : ils illustrent à quel point des hommes et des femmes capables de lire, d’écrire, et surtout de réfléchir, peuvent infléchir le cours des choses, surtout lorsque celui-ci est dicté par un État plus soucieux du bien-être des compagnies que de celui des collectivités.

C’est d’abord cette verve et cette intelligence dans le regard qui caractérisent Véronique Lalande et Louis Duchesne, un couple du quartier Limoilou à Québec devenu les vedettes improbables de Bras de fer, un documentaire des frères Jean-Laurence et Jonathan Seaborn (Pas de piquerie dans mon quartier).

Tout a commencé par une poussière rouge composée d’oxyde de fer ayant recouvert les environs en octobre 2012, bien visible sur leur demeure, et sur les mains de leur fils, encore la couche aux fesses. Ils se doutaient bien que ce nuage toxique provenait du port de Québec, et sans doute de la compagnie Arrimage Québec, mais comment le prouver ? Et surtout, comment faire en sorte que cesse cette pollution insidieuse dont personne, et surtout pas les autorités, ne semble se préoccuper ?

C’est ce combat pour la vérité qu’observent avec la même détermination les deux cinéastes, décrivant le quotidien d’une mère qui met autant de coeur à militer qu’à allaiter et d’un conjoint dont le bagage scientifique devient un atout face à la désinformation de ceux qui veulent balayer cette poussière sous le tapis. Il apparaît d’ailleurs assez révélateur que toutes les figures d’autorité, qu’elles soient issues du public ou du privé, n’apparaissent que dans le cadre de conférences de presse ou de séances d’information ; seul Thomas Mulcair, qu’on présume à la tête du Nouveau Parti démocratique (le film se déroule sur quelques années, et avec peu d’indications chronologiques), va à leur rencontre pour souligner le côté David et Goliath de leur combat. Ce qui ne signifie pas qu’il faille baisser les bras.

Bras de fer ne fait toutefois jamais l’économie de la dureté des attaques (la Sûreté du Québec les a à l’oeil !) ni surtout de l’impact que cette bataille exerce sur le quotidien de cette famille dont le salon apparaît comme une cellule de crise. Entre deux entrevues et deux présences à des points de presse où politiciens et fonctionnaires manient la langue de bois avec la dextérité d’un acrobate, et même le maire Régis Labeaume (quelques images prises à la dérobée témoignent de son exaspération), le tandem de militants refuse les réponses creuses et évasives.

Ils s’en font servir pourtant avec la même intensité que les polluants qui se répandent dans l’air de la capitale. Car une fois les responsabilités reconnues, et après la tenue d’une marche organisée avec l’énergie de l’indignation, voilà que s’engage une longue lutte judiciaire pour faire respecter des droits qui semblent pourtant aller de soi. D’autres événements, dont des décisions difficiles pour l’avenir de cette famille dans le quartier, freinent un peu l’élan des cinéastes, car comment filmer l’attente dans les dédales kafkaïens de la justice ?

Sur une note à la fois souriante et amère se conclut ce valeureux Bras de fer, témoignage éloquent et vibrant d’une lutte inégale, mais où le poids des mots, des arguments logiques et intelligents, vaut son pesant d’or. Savoir lire et écrire, c’est non seulement comprendre la mécanique du pouvoir, mais aussi la remettre dans le droit chemin, celui du bien commun, lorsqu’elle se détraque.

Bras de fer

★★★★

Documentaire de Jean-Laurence Seaborn et Jonathan Seaborn. Québec, 2017, 78 minutes.

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