Terminal de conteneurs à Québec: des pour et des contre

Annie Morin, Le Soleil, publié le 9 janvier 2018

Est-ce que Québec a les atouts pour aménager un terminal de conteneurs? Le Soleil a posé la question à deux experts, qui divergent d’opinion. Lisez leurs arguments.

 

DERNIÈRE CHANCE POUR LA SAINT-LAURENT

Jean-Paul Rodrigue, professeur au Département d’économie et de géographie, Hofstra University, Long Island (New York)

Jean-Paul Rodrigue parle du port de Montréal comme d’un port «dans un cul-de-sac», «coincé» par son débit d’eau de 11,3 mètres malgré la proximité enviable des marchés de consommation. À l’inverse, celui de Québec lui apparaît avantagé par la nature.

Selon le professeur au Département d’économie et de géographie de l’université Hofstra, située à Long Island dans l’État de New York, la profondeur d’eau est devenue un incontournable facteur de réussite des ports depuis l’élargissement du canal de Panama et l’apparition conséquente de porte-conteneurs de très grande taille.

Dans ce contexte, M. Rodrigue est convaincu du risque réel que les entreprises maritimes délaissent Montréal pour des ports de la côte est américaine, où elles pourraient accoster de plus gros navires, puis transférer les marchandises par train vers le Québec, l’Ontario et le Midwest américain.

«Le Saint-Laurent doit s’organiser s’il ne veut pas être rayé de la carte du trafic de conteneurs», expose le chercheur, qui a participé aux études commandées par l’Administration portuaire de Québec (APQ) pour son projet Beauport 2020. Un terminal de conteneurs sur la future ligne de quais planifiée dans la baie de Beauport, où il y a 15 mètres d’eau à marée basse, permettrait ainsi une «relocalisation» des activités actuellement concentrées à Montréal et éviterait la marginalisation du Canada dans le commerce maritime à l’est du continent.

S’il ne pense pas que le Saint-Laurent puisse attirer des navires de 10 000 conteneurs, M. Rodrigue estime réaliste d’attirer la catégorie de 5000 à 8000 unités jusque dans la capitale. L’éloignement des marchés principaux serait compensé par une meilleure utilisation du chemin de fer.

En entrevue téléphonique, le professeur admet une difficulté : «c’est un peu compliqué à Québec» car l’espace est restreint. Mais il évoque le recours à la technologie pour contourner les obstacles. «Le nouveau terminal qui se construirait à Québec serait un terminal de la dernière génération, de haute densité, avec un haut degré d’automatisation et une connectivité ferroviaire maximum avec des satellites, des dépôts de conteneurs en marge» du site principal, décrit-il.

Jean-Paul Rodrigue considère que l’autre solution possible, le dragage du Saint-Laurent pour permettre la circulation de plus gros bateaux jusqu’à Montréal, serait «un suicide économique et environnemental». Il souhaite également une nouvelle alliance, sinon une fusion pure et simple, des ports du Saint-Laurent.

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TOUT EST QUESTION DE MARCHÉ

Claude Comtois, professeur de géographie, affilié au Centre de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT), Université de Montréal

Ce n’est pas pour rien que Québec a abandonné les conteneurs au profit de Montréal il y a une quarantaine d’années, rappelle Claude Comtois. «Ça n’a pas fonctionné parce que le marché n’était pas là.»

En se rendant dans la métropole, les armateurs approvisionnent directement le principal marché québécois. Ils peuvent aussi compter sur un réseau de voies ferrées bien développé et connecté au vaste bassin de consommateurs de l’Ontario et du Midwest américain, explique le professeur de géographie de l’Université de Montréal, affilié au Centre de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport.

Malgré la disponibilité nouvelle d’immenses porte-conteneurs pouvant transporter jusqu’à 10 000 «boîtes», M. Comtois croit qu’il est plus avantageux pour les entreprises maritimes de tabler sur de plus petits bateaux (environ 4000 conteneurs) adaptés à la profondeur d’eau de Montréal afin de se rapprocher au maximum des consommateurs et de tout décharger puis recharger d’un seul coup. Diriger vers Québec des mastodontes nécessitant 15 mètres de tirant d’eau les obligerait à se délester partiellement et, surtout, à organiser la suite du voyage des marchandises.

Chaque arrêt dans un port entraîne des frais de quaiage et de manutention; chaque changement de mode de transport exige du temps et de l’argent. À partir de Québec, la tentation serait forte de sauter l’étape du train — qui doit passer par le pont de Québec puis emprunter le corridor déjà fort achalandé de la rive sud — pour aller directement vers le camionnage, la pire solution d’un point de vue environnemental, poursuit l’expert en logistique maritime.

M. Comtois doute même de la venue des méganavires sur le fleuve Saint-Laurent. Pour le moment, ces géants des mers, très coûteux à opérer, desservent essentiellement l’Europe et l’Asie en parcourant en boucle les grandes routes océaniques. L’aller-retour jusqu’à Québec représenterait pour eux une perte de temps. «Il faut pénétrer dans le Saint-Laurent et après il faut que tu en sortes», souligne le professeur.

Celui-ci considère également que 17 hectares de terrains pour un terminal de conteneurs, la superficie de l’agrandissement projeté à la baie de Beauport, «c’est nettement insuffisant». Il demande à voir le plan d’affaires pour se faire une meilleure idée du projet.

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L’ORGANISME NATURE QUÉBEC CRIE À «L’IMPROVISATION»

Nature Québec considère que le Port de Québec fait preuve d’«improvisation» en destinant dorénavant un terminal de conteneurs à l’agrandissement projeté à la baie de Beauport. L’organisme demande à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) de reprendre les consultations publiques pour tenir compte du changement.

«Ça sent l’improvisation à plein nez», a réagi Christian Simard, directeur général de Nature Québec, lundi, tablant sur l’opposition de l’Association des employeurs maritimes (AEM) pour dire que le nouveau projet portuaire «bat déjà de l’aile».

Dans une lettre envoyée aux gouvernements du Québec et du Canada et dont Le Soleil a obtenu copie, les signataires de l’AEM représentant 80 % du marché du transport des marchandises conteneurisées sur le fleuve Saint-Laurent favorisent Montréal pour le transbordement de conteneurs et rejettent l’argument de la profondeur d’eau favorable à Québec. Ils affirment que le statu quo est plus favorable à l’environnement.

Pour en avoir le cœur net, M. Simard estime que l’ACEE doit reprendre les consultations publiques à la faveur du nouveau scénario soumis. L’hypothèse précédente évoquait un tiers de vrac liquide, un tiers de vrac solide et un tiers de conteneurs. Tous les commentaires et analyses déposés y faisaient référence.

«Normalement, on devrait reprendre le processus. Sur ce nouveau projet, il devrait à tout le moins y avoir des audiences publiques pour demander au Port de justifier sa nouvelle orientation, de présenter une étude de faisabilité, les impacts sur l’environnement», énumère le dg de Nature Québec. La population pourrait aussi dire son mot.

«Tout se fait derrière des portes closes. La prochaine étape, c’est le rapport rédigé par l’Agence sur lequel on va pouvoir réagir. Mais entretemps, tous les compléments d’études, toutes les discussions entre le Port et l’agence sont secrètes et privées. C’est un système qui, à sa face même, ne favorise pas la transparence et la justice naturelle», poursuit M. Simard.

D’autres réactions

La réaction du Port de Québec à la position de l’AEM tient pour sa part en deux phrases envoyées par courriel par sa porte-parole Marie-Andrée Blanchet : «L’avantage stratégique du Port de Québec repose sur cinq composantes fondamentales : la profondeur d’eau, la proximité du marché, l’intermodalité, le terrain et la mobilisation du milieu. Le Port de Québec a les conditions gagnantes pour réussir le projet de conteneur à Québec et poursuivre la croissance des conteneurs sur le Saint-Laurent.»

Le ministre québécois délégué aux Affaires maritimes, Jean D’Amour, a aussi choisi de nous faire parvenir une déclaration écrite dans lequel il ne prend position ni pour Montréal ni pour Québec. «Le projet d’envergure proposé par le port de Québec sera analysé rigoureusement par le gouvernement lorsque davantage de détails seront disponibles car nous sommes sensibles aux enjeux et aux impacts qu’il peut apporter, et ce, à plusieurs niveaux», peut-on lire. Suivent quelques mots sur la Stratégie maritime, qui «vise à stimuler une croissance durable de l’économie maritime québécoise». «Par conséquent, tout investissement dans le domaine des infrastructures maritimes est en soi une bonne nouvelle», rapporte Véronique Michaud, l’attachée politique du ministre.

Même circonspection au bureau du ministre fédéral des Transports, Marc Garneau. «Le gouvernement du Canada reconnait l’importance d’avoir des corridors commerciaux efficaces et qui permettent aux Canadiens d’être concurrentiels dans les principaux marchés mondiaux et de commercer plus efficacement avec leurs partenaires internationaux. Pour ce qui en est du Port de Québec, nous suivons les développements de près», écrit son attachée de presse, Delphine Denis, rappelant l’indépendance des autorités portuaires tant pour leurs opérations que pour leur développement.

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