Faire la cour aux grands

François Bourque, Le Soleil, 13 décembre 2017

Le projet de transborder des conteneurs fermés plutôt que du vrac est une bonne nouvelle pour les citoyens inquiets de la qualité de l’air près du port de Québec.

La manutention de vrac faisait craindre une hausse des émissions de poussière.

On verra à la consultation, mais on peut imaginer que l’acceptabilité sociale sera plus facile à obtenir pour des conteneurs que pour des matières volatiles ou des produits pétroliers.

La première réaction au virage du Port de Québec est venue de la Chambre de commerce. Une ovation debout pour le pdg Mario Girard, après l’annonce du projet.

Le maire Labeaume a aussi offert son appui en prenant place à côté de M. Girard pour un point de presse. «Les conteneurs sont préférables à toute autre matière», a plaidé le maire. Cela vaut pour les quais autant que pour les voies ferrées qui y mènent. «Les conteneurs, c’est pas dangereux», dit-il.

MM. Labeaume et Girard y voient une occasion pour Québec de «jouer dans la cour des grands» et profiter d’une tendance internationale vers les navires porte-conteneurs de forte capacité.

Ceux-ci ne peuvent atteindre Montréal ni remonter la voie maritime vers les Grands Lacs, l’eau n’y étant pas assez profonde.

Avec sa jauge de 15 mètres à marée basse, Québec pense attirer des navires de 8000 à 10 000 conteneurs sans nuire à Montréal et en partenariat avec elle. Ça reste à voir.

Des études internes (que le Port refuse de rendre publiques) suggèrent que de gros joueurs internationaux auraient de l’intérêt pour Québec. Ça reste à voir aussi.

En attendant, M. Girard invite la «communauté» de Québec à «croire en ce projet porteur […] à s’unir pour le faire démarrer […] et à laisser parler votre fierté».

Ça sonnait bien, mais je vois mal quelle fierté Québec espère trouver à empiler des conteneurs sur un quai.

Je peux comprendre lorsqu’il s’agit de soutenir et faire rayonner Québec, ses chercheurs, créateurs, inventeurs ou chefs d’entreprises novatrices.

Mais on parle ici de trois ou quatre grues pour transborder des conteneurs depuis les trains vers les quais, puis des quais vers des navires et inversement.

Cela n’a rien de honteux et c’est tant mieux si cela relance le transport fluvial, sert l’économie locale et celle des villes qui jouxtent la voie maritime jusqu’au midwest américain.

Mais ça reste une activité industrielle traditionnelle. La seule chose qui change, c’est le nombre de conteneurs sur les bateaux.

Miser sur des conteneurs peut réduire le risque environnemental, mais ne change pas la nature du projet d’agrandissement qui soulève à mon avis les mêmes questions qu’avant. J’en ai retenu trois.

1. Pourquoi agrandir le port? 

On agrandit d’habitude quand on manque d’espace. Dans le cas du Port, les quais actuels posent des problèmes de gestion d’horaire, mais la véritable motivation est ailleurs.

Ce n’est pas tant par manque d’espace que par manque d’argent que le Port veut agrandir.

Le projet de quai de 610 mètres vise à générer des revenus dont on a besoin pour rénover les quais actuels. Le pdg Girard l’a rappelé mardi encore en point de presse.

Ce besoin d’argent pour garder les quais à flots condamne à une spirale de croissance. Plus il y aura de quais à entretenir, plus il faudra d’argent et plus il faudra d’argent, plus il faudra de nouveaux quais.

Est-ce vraiment la seule (et la meilleure) façon de pérenniser les infrastructures du Port de Québec?

2. Quel est le véritable bénéfice pour l’économie? 

Le Port de Québec a révisé à la baisse les premières promesses de retombées économiques que le pdg avait chiffrées au départ à 253 millions $ et à 5700 emplois directs et indirects pendant la construction.

Je ne sais plus aujourd’hui quel est le «bon» chiffre» et encore moins avec le virage vers les conteneurs.

Il y aura de nouveaux emplois de débardeurs, mais le reste est plus aléatoire.

Pour évaluer l’argent «neuf» généré par un projet, il faut savoir de quoi on parle. Pouvoir suivre la trace de l’argent investi pour savoir à quel endroit il a fait des petits, s’il en a fait.

C’est difficile quand on ignore tout des futurs clients du terminal.

Le Port nous a échaudés avec son urgence à construire des silos de granules de bois qui ne servent aujourd’hui à rien. Quelle assurance y a-t-il que le futur quai sera occupé et rapportera les revenus espérés?

3. Quel sera l’impact sur le paysage?

Le projet d’agrandissement va changer radicalement le paysage de la plage publique de Beauport qui fait la fierté de Québec.

La plage ne disparaîtra pas, mais son horizon va se refermer avec l’avancée du nouveau quai de 610 mètres. Cela était connu. Ce qui ne l’est pas, c’est l’impact visuel si on empile cinq étages de conteneurs sur le quai. Des mesures de mitigation sont possibles, mais comment savoir que la plage ne sera pas «écrasée» par les conteneurs?

Et qu’en sera-t-il de la vue sur Québec depuis la future promenade de Champlain que la Ville souhaite prolonger vers Beauport?

Il manque encore beaucoup de réponses avant de pouvoir donner le feu vert au Port en toute tranquillité d’esprit.

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